L’association Terre de Liens est née en 2003, avec le soutien de La Nef éthique. 

Basée dans la Drôme, l’organisation rassemble des citoyens engagés en faveur d’une agriculture saine, locale et nourricière. Présente dans tout l’Hexagone, cette structure, qui n’enjoint pas que des agriculteurs, n’a pas attendu la fronde sociale de ce début d’année pour monter en puissance, contexte socio-économique et prise de conscience obligent.

Au printemps 2024, c’est à une réunion de son Groupe Local à Grenoble (« Y’38 »), composé d’une quinzaine de bénévoles et animé par Kathy Barla, que la rédaction d’Alpes Solidaires a pu les rencontrer. Et parmi ces bénévoles : Christophe Lacote.

Membre actif et expérimenté de ce mouvement citoyen, lui-même fils et frère d’exploitants agricoles, ce fondateur d’ALMA, une S.c.o.p. iséroise renommée, a accepté de nous raconter son rôle dans l’association.

 

- Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, et nous préciser votre rôle au sein de Terre de Liens, ce qui vous a conduit à vous y impliquer ?

 

Je m’appelle Christophe Lacote, je suis à la retraite mais actif en tant que bénévole, auprès de Terre de Liens, depuis quatre ans. C’est une association dont je m’étais déjà rapproché dès 2011-2012, dans le but de racheter une ferme dans le Limousin (d’où ma famille, elle-même paysanne, est originaire) via la Foncière Terre de Liens.

L’une des raisons pour lesquelles je me suis engagé dans ce mouvement, c’est le changement climatique. Le système agricole actuel ne favorise absolument pas une agriculture saine, en particulier celui qui implique de faire venir depuis l’Amérique du Sud, des intrants ou du soja pour nourrir nos bêtes, éléments qui repartent ensuite à des milliers de kilomètres… Et l’utilisation massive de machines et de pétrole ne fait qu’aggraver cette situation, aussi bien envers l’environnement que l’être humain.

En ce qui concerne l’engagement en tant que bénévole dans Terre de Liens, celui-ci consiste à faire connaître le mouvement par diverses actions de sensibilisation au public, par exemple en faisant visiter certaines fermes ; il s’agit d’aider, d’une manière ou d’une autre.

 

- Quel est le but de l’association, et qui en fait partie ?

 

Terre de Liens est avant tout un mouvement citoyen ; on n’y rencontre pas uniquement des agriculteurs.

L’une de ses finalités est de supprimer le poids de l’acquisition foncière pour les agriculteurs, en particulier les nouveaux agriculteurs, qui sont souvent des jeunes et qui, pour beaucoup d’entre eux, ne viennent pas du monde agricole.

Cette tendance est le contraire de ce qui s’est pratiqué pendant longtemps : par tradition, certaines fermes se sont transmises de génération en génération, le plus souvent par héritage de père en fils. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes suivent des études dans ce domaine avec l’ambition de reprendre une exploitation, mais sans pour autant être issus de ce milieu, et donc sans patrimoine à priori.

 

- Vous venez de mentionner un point important, s’agissant des jeunes agriculteurs souhaitant reprendre une ferme: le « poids de l’acquisition foncière » ; qu’est-ce que cela signifie?

 

Imaginons que je suis un jeune agriculteur ; j’ai effectué pour cela une formation, suivi des études supérieures d’agriculture dont je suis sorti diplômé du B.P.R.E.A. (Brevet Professionnel option Responsable d’Entreprise Agricole), et je souhaite maintenant reprendre une exploitation. Un tel investissement, à savoir le rachat de cette exploitation afin de m’y installer, donc d’en faire mon métier et d’en vivre, demande une surface financière énorme.

La question qui se pose alors est : qui va être en mesure de me prêter les financements nécessaires à l’achat des terres, des bâtiments, du matériel, du cheptel ? Le démarrage, dans ce domaine, est très difficile du fait du poids de l’investissement initial.

C’est là qu’intervient Terre de Liens : la structure va acquérir ce qui correspond au foncier de l’exploitation (c’est-à-dire les terres et le bâtiment), afin de louer cette exploitation à des fermiers. Ces fermiers, ainsi délestés de cet achat qui aurait signifié pour eux le dépôt d’un capital bien plus conséquent, pourront ainsi reprendre l’exploitation à un tarif plus abordable, et démarrer leur activité plus facilement, et plus rapidement.

Il faut savoir qu’aujourd’hui le coût d’une terre, en France, est de plus en plus important. Comme tous ces achats représentent un coût global colossal, de nombreux jeunes agriculteurs peuvent être effectivement dissuadés de se lancer. L’un des objectifs de Terre de Liens est de favoriser de telles initiatives, de leur permettre de se concrétiser, à condition que les futurs acquéreurs de l’exploitation soient en phase avec l’esprit de Terre de Liens, c’est-à-dire qu’ils aient l’intention d’y pratiquer une agriculture paysanne, donc plus traditionnelle, plus authentique et respectueuse de l’environnement.

 

- Pouvez-vous nous en dire plus sur le type d’agriculture prônée par Terre de Liens?

 

Le rôle de l’association est de veiller à limiter l’artificialisation des sols, afin de les protéger et de s’assurer de leur préservation; cela permet d’œuvrer à préserver le foncier agricole, qui est soumis à une spéculation massive.

C’est la raison pour laquelle quand un fermier rejoint Terre de Liens, il doit signer un bail rural et environnemental, qui inclut certaines clauses particulières, comme pratiquer une agriculture biologique et paysanne, qui vivifie les sols et contribue au rééquilibre des écosystèmes.

La finalité de cette démarche est, d’une part, de privilégier une production alimentaire destinée à l’économie locale, donc en circuit court, adaptée au territoire et respectueuse du rythme des saisons.

Il est nécessaire aussi, quand cela est possible, que cette production soit variée, ce qui signifie privilégier la polyculture. A cet égard, l’agriculture traditionnelle est riche d’enseignements : celle-ci mélange culture et élevage (qui se complètent très bien), tandis que la monoculture, qui consiste à produire toujours la même chose, est très mauvaise pour la préservation de la qualité des sols.

En outre, une production et une économie locales sont susceptibles de créer des emplois, et nous préférons cela, bien sûr, au machinisme et à l’industrialisation des terres.

Nous favorisons également les fermes paysannes, à taille humaine. 

Car ce que l’on voit de plus en plus, ce sont au contraire d’immenses fermes industrielles possédées par des sociétés financières ; il s’agit de fermes dans lesquelles des saisonniers sont employés afin d’y exploiter la terre, mais qui le font comme si cette terre était un bien comme les autres. Et cette pratique se fait dans un but strictement financier, en contradiction totale avec ce que défend Terre de Liens.

 

Enfin, cette économie doit être à la fois viable et transmissible : à partir du moment où Terre de Liens a racheté une exploitation, elle en devient propriétaire, tout en s’étant assurée, au préalable, que la production de la ferme est pérenne. S’assurer de sa pérennité, cela veut dire veiller, par exemple, à ce que le départ à la retraite d’un fermier qui vendrait sa ferme ne va pas, du fait de son départ, entraîner l’arrêt de la production de son exploitation. Mais la Foncière va aussi s’assurer que le sol sur lequel repose cette ferme n’a pas été appauvri, détérioré par l’usage de produits nocifs. Tous ces paramètres vont nous permettre de déterminer si la ferme peut être louée, par l’intermédiaire de Terre de Liens, à un nouvel exploitant en capacité de prendre le relais car, au final, la décision revient à la Foncière.

 

- Vous citez la Foncière, pouvez-vous préciser comment est structurée l’association?

 

Terre de Liens est scindée en trois entités : Foncière, Fondation, Fédération.

La Foncière est une institution financière qui possède les fermes, et dans laquelle il est possible de prendre des parts ; c’est une manière d’épargner ses économies tout en prenant soin de la ferme (terres, animaux, production), cela grâce à l’argent qu’on y place. Ce n’est pas un investissement réalisé dans le but de faire un placement capitalistique; il n’y a pas de redistribution des dividendes, puisqu’il est question ici de finance solidaire.

 

Ensuite, la Fondation : celle-ci récolte les dons et les legs, ce qu’on appelle mécénat. Ces investissements-là sont immuables puisque ce sont des dons, ils deviennent donc définitivement la propriété de la Fondation.

 

Enfin la Fédération, quant à elle, s’assure, grâce à ses bénévoles, que tout cela fonctionne. Elle fait donc connaître le mouvement auprès des territoires, repère des fermes à acquérir, les évalue. Elle trouve notamment ceux que nous appelons des « porteurs de projet » (ou inversement: ces derniers font appel à nous) - des personnes qui souhaitent reprendre une ferme pour s’y installer -, et veille à ce qu’il y ait une alchimie entre ces derniers et les « cédants », c’est-à-dire les paysans qui, eux, vendent leurs terres.

C’est là qu’interviennent les associations territoriales : ces dernières font en sorte que ce passage de relais se passe au mieux ; ces associations sont elles-mêmes constituées de Groupes Locaux (comme celui de Grenoble) et dépendent donc, au niveau national, de cette Fédération.

 

- Pour nos lecteurs intéressés: comment peut-on aider l’association ?

 

On peut soutenir financièrement la structure en devenant simplement « adhérent », donc non « militant ». Cette adhésion n’implique pas d’engagement particulier (les « adhérents » ne participent pas aux réunions), mais elle permet de fournir un salaire aux permanents du mouvement, de faire fonctionner l’association. Les adhérents sont souvent des personnes qui ont pris des parts dans la Foncière et, comme tout adhérent à toute association, ils versent chaque année une cotisation.

 

Par ailleurs, on peut devenir « adhérents bénévoles »: ces derniers participent aux réunions de leur Groupe Local, s’occupent des liens avec les fermes et d’en trouver de nouvelles. Ils se chargent également des relations avec les porteurs de projets, s’efforcent de faire connaître le mouvement en assurant une présence lors de Salons ou de rencontres, en organisant des événements, en faisant visiter des fermes Terre de Liens, en répondant aux sollicitations de médias, etc.

Ces bénévoles assurent une grande partie des tâches, y compris en termes d’évaluation et de ce que nous appelons le « diagnostic » des fermes : taille et état de la structure, nombre de bêtes, qualité et quantité de la production... En tant que bénévoles, nous effectuons divers prélèvements sur place, que nous confions ensuite à des professionnels exerçant dans des laboratoires à des fins d’analyse et d’évaluation. Cette expertise se retrouve également dans nos publications (articles, rapports, etc.), pour lesquelles Terre de Liens fait appel à de véritables professionnels.

 

Pour conclure cette présentation : rejoindre Terre de Liens, c'est donc participer au maintien d'une agriculture paysanne, soucieuse de préserver la nature (fermes en bio) et de produire une alimentation saine, si possible consommée localement ; c'est résister à la financiarisation et à l’industrialisation de l'agriculture, en privilégiant le travail des hommes et des femmes porteurs d'une culture et d'un lien forts entre l'Homme et son environnement.

 

 

Jérôme DIAZ pour Alpes Solidaires

 

 

 

 

 

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