Du projet à la création d’un lieu de partage et d’échange
En 2012, Sandrine Trigeassou milite chez Réseau Éducation Sans Frontières, réseau de soutien des parents sans-papiers d’élèves scolarisés. À travers son engagement, elle rencontre de nombreuses familles venues de différents pays, partage des repas et des moments de convivialité. Enthousiasmée par la richesse de ces rencontres autour de la cuisine, elle décide alors de mettre par écrit ces échanges dans un livre intitulé « Cuisine sans papier - 15 recettes réalisées de tête et sans visage dans une cuisine française ». Toutefois, les liens tissés autour de ce projet ne durent pas dans le temps et après la publication du livre, les personnes en attente de régularisation administrative se retrouvent de nouveau isolées.
En 2014, Sandrine Trigeassou décide de prolonger cette première expérience en créant une association autour du thème de la cuisine, qui pourrait permettre aux personnes migrantes de sortir de l’isolement, d’accéder à des formations, de promouvoir l’échange interculturel et l’apprentissage entre pairs, tout en contribuant à l’animation de la vie de quartier.
La cuisine devient alors centrale pour défendre les valeurs de réciprocité et d’hospitalité. N’ayant pas de local pour cuisiner, elle contacte la Maison des Habitants Chorier Berriat, en leur proposant son idée de réunir habitants exilés ou non pour cuisiner et échanger tous ensemble. La MDH accepte de prêter leur cuisine. Sandrine Trigeassou met alors en place des ateliers de cuisine, dans les locaux de la MDH, pour les personnes migrantes, une puis deux fois par semaine. L’association Cuisine Sans Frontières voit alors le jour.
En 2019, la Mairie met à disposition de l’association Cuisine Sans Frontières et de trois autres associations partenaires (Beyti ma maison, l’APARDAP et 3aMIE) les locaux d’une ancienne crèche, situés en face de la MDH Chorier Berriat et de la piscine Bulle d’O, dans le quartier St Bruno. Depuis l’association continue d’exercer dans le même lieu : Babel St Bruno 13 Rue Henri Le Chatelier, 38 000 Grenoble. L’accès en transport en commun se fait avec le tram A, B et le bus 12, arrêt St Bruno.
« Vu qu’on n’avait pas de financement, on a commencé à vendre les plats cuisinés pour financer l’atelier d’après. De fil en aiguille on a fait de la vente à emporter, puis de la restauration sur place, puis les gens demandaient des buffets donc on a commencé à faire traiteur » nous explique Sandrine Trigeassou, cofondatrice de Cuisine Sans Frontières.
Que fait Cuisine Sans Frontières ?
Cuisine Sans Frontières c’est de la restauration sur place mais c’est surtout de la vente à emporter, et un service traiteur. Le service de livraison est assuré à vélo en cargo électrique. Les clients sont en grande partie des gens du quartier. Certaines structures comme le centre de santé Arlequin commandent régulièrement.
La restauration sur place et à emporter a lieu les mardis et jeudis. Pour obtenir les menus de la semaine, il faut s’inscrire à la newsletter via le site Cuisine Sans Frontières. Chaque semaine, un mail avec le menu de la semaine est envoyé, avec toujours un choix entre un plat de viande et un plat végétarien. Pour passer commande, il est nécessaire de réserver 24h à l’avance sur le même site. Le système de réservation limite les restes, et si cela arrive, les denrées sont déposées dans le frigo solidaire, qui se trouve à l’entrée de l’association, depuis 2020. Tout le monde peut venir déposer ou récupérer des aliments dans ce frigo solidaire, qui est entretenu par l’association.
« Des gens sans-papiers cuisinent avec nous, ils nous font connaître leurs plats, c'est chouette. On se rencontre, cela crée de belles amitiés. On fait connaître des plats étrangers aux français. » partage Sandrine Trigeassou. « Les gens viennent de tous les horizons, Afrique de l’Ouest, Congo, Maghreb, les pays Balkans, comme l’Albanie, le Kosovo, du Caucase, comme l’Arménie, la Géorgie… La bonne ambiance attire tout le monde. Ça leur permet de s’inscrire dans un projet en groupe, et de faire quelque chose ensemble en pratiquant le français. »
Des ateliers de cuisine sont proposés un samedi matin par mois, pendant lesquels les participants viennent apprendre à cuisiner les plats d’un pays. Ces ateliers sont ouverts à tous contre une participation de 25€. Lors de chaque atelier, deux plats et un dessert sont préparés. Les participants repartent avec leur plat pour deux personnes à déguster.
« Actuellement 25 bénévoles cuisinent en rotation au sein de Cuisine Sans Frontières. Ils sont tous en attente de régularisation administrative. Beaucoup de personnes demandent à intégrer l’association, car les gens ne peuvent pas faire autre chose en étant sans-papiers. La coordinatrice salariée, Christine Mallié, gère la liste d’attente. »
Par ailleurs, tous les jeudis, les bénévoles cuisinent cinquante portions de plats à distribuer aux personnes dans le besoin lors des maraudes. Chaque hiver, les bénévoles préparent également une soupe distribuée au sein de l’association Accueil SDF.
Comme chaque année, Cuisine Sans Frontières participe au Grand repas du quartier sur la place St Bruno. Cette année, il se déroulera le samedi 14 octobre. La MDH et d’autres associations du quartier, comme Beyti, y participent aussi. Il y aura des animations d’ateliers de cuisine gratuits, en plein air. Tout le monde est invité à venir cuisiner à partir de 10h et manger à partir de 13h.
Du bénévolat au CAP de restauration
L’association souhaite remercier l’énorme travail fourni en cuisine par les bénévoles et leur donner en retour en les accompagnant à une insertion plus durable. C’est pourquoi, depuis 2020, l’association Cuisine Sans Frontières, en partenariat avec l’association 3aMIE (qui aide les jeunes migrants à prendre en main leur avenir par l’éducation et la rencontre), préparent une promotion de personnes en attente de régularisation administrative au passage du CAP Production et Service en Restauration. Dans le cadre de cette formation, l’association 3aMIE s’occupe des matières générales, tandis que Cuisine Sans Frontières des matières professionnelles, travaux pratiques et stages.
Les personnes sans-papiers se préparent au CAP avant leur régularisation. Dès qu’ils seront régularisés, ils quittent l’association et grâce à cette formation, ils peuvent passer le diplôme en candidat libre pour accéder plus facilement au monde professionnel. Cette année, une promotion de 9 personnes a été préparée pour passer les épreuves, 6 ont obtenu leur CAP.
Tout le monde ne prépare pas le CAP, mais tout le monde acquiert des compétences professionnelles. Les bénévoles apprennent à s’adapter aux plannings, aux horaires, aux normes d’hygiène française. Ils adaptent les plats aux goûts des Français, pas trop épicés, pas trop gras, pas trop sucrés, et utilisent des fruits et légumes de saison. Grâce à ces apprentissages, ils acquièrent tous des compétences pour travailler après leur régularisation en cuisine ou dans d’autres lieux comme le CCAS, les maisons de retraite, l’aide à la personne, le ménage…
Un bénévole de l’association a obtenu un CDI, au sein de l’association, après sa régularisation. Malheureusement, l'association ne peut pas proposer un poste à temps plein pour tout le monde. L’objectif est donc que les bénévoles de l’association trouvent un emploi dès qu’ils obtiennent leurs papiers.
Cuisine Sans Frontières, la sortie du livre de recettes
Plusieurs professionnels ont collaboré à l’élaboration de ce livre qui porte le nom de l’association Cuisine Sans Frontières. « La photographe, Pascale Cholette, a fait un super travail pour mettre en valeur nos plats. L’illustrateur, Morgan Navarro, a fait un petit cahier de BD sur notre association, qui sera inclus dans le livre de recettes. L’écrivaine, Anaïs Escot, a fait des ateliers d’écriture, pour préparer des petits textes sur nous pour rajouter dans le livre » énumère Sandrine Trigeassou.
Ce livre garantit à son lecteur un voyage gustatif à travers les différentes recettes traditionnelles des différents pays. Le Maghreb est survolé à travers les recettes de roulés de courgette à la feta, de mrouzia de l’Aid El Kebir, des petits pains, ou encore la pastilla à la courge. Une escale est prévue au Congo avec le poisson en papillote de feuilles de bananier, le mafé à l’oseille, les brochettes de bœuf marinées. Le dessert sera prévu en parcourant la Guinée, le Sénégal et le Burkina Faso avec le dégué, ce fameux dessert traditionnel au lait et semoule de mil. Pourquoi ne pas passer par la Géorgie avec un chakapuli, préparation au bœuf avec de petites prunes, ou un buratchni, cette fameuse verrine de betteraves aux noix. Ceci n’est qu’un bref aperçu des nombreuses destinations qui vont vous faire saliver en parcourant les pages de ce livre.
Pour continuer ce voyage, rendez-vous en librairie à partir du 5 octobre ! Le livre, édité aux éditions Alternatives (groupe Gallimard) sera en vente, dans toutes les librairies au prix de 18 euros. Par ailleurs, rendez-vous à la librairie Le Square à Grenoble, le 6 octobre à 19h, pour le lancement du livre, en présence de Sandrine Trigeassou et de certains cuisiniers.
écrit par Aysé Memisoglu