Interview de Jano, membre de l'association Serein·es
Certain·es d’entre vous rêvent que les espaces festifs ne riment plus avec drague lourde, stigmatisation sexiste voire agressions ? Bonne nouvelle : l’association féministe Serein.es, basée à Grenoble, vise à prévenir les violences sexistes et sexuelles (VSS) et discriminations commises en milieu festif. Elle agit par la voie de la pédagogie, par le biais de stands de sensibilisation, d’informations et de maraudes sur les questions de plaisir, de rapports affectifs et intimes et du consentement. Aussi, elle propose des discussions et des espaces chill¹ en mixité choisie² et accueille les personnes victimes de VSS ou de comportements discriminatoires.
Jano (il et elle), coordinateur·rice de l’association Serein·es, nous informe sur ces questions et sur les enjeux actuels de l'association. Il et elle nous parle aussi de leur intervention au Cabaret Frappé, festival de musiques actuelles gratuit et en plein air qui s’est tenu à Grenoble au Jardin de Ville en juillet 2025.
Que signifient pour l’équipe de serein.es les mots de « Violences Sexuelles et Sexistes » ?
« Le mot violences regroupe une multitude de sens. À la base, les VSS désignent des discriminations systémiques fondées sur une différenciation des genres. On y trouve les violences liées à la situation économique - les différences de salaires par exemple. À côté de cela, existent aussi les violences psychologiques ou physiques ou encore celles liées à la coercition à la reproduction³, à l’accès à la contraception et à l’avortement. »
Quels types de VSS existent de manière spécifique aux milieux festifs où vous intervenez ?
« Les VSS auxquelles nous sommes le plus couramment confronté·es sont les agressions sexuelles, les viols et les attouchements. Il y a également des remarques ou des blagues sexistes et du harcèlement. Ce dernier concerne les outrages comme le fait d’aborder quelqu’un de manière persistante, de porter des regards insistants, de chercher à créer un contact physique (“se frotter”) ou encore, de tenter d’offrir des verres et s’offusquer quand la personne refuse.
La soumission chimique⁴ existe aussi dans les contextes festifs car des produits y sont consommés - dont en grande partie l’alcool. Et elle peut coexister avec la vulnérabilité chimique. »
Comment s’est déroulée votre intervention au sein du Cabaret frappé ?
« La Ville de Grenoble est un de nos principaux subventionneurs et nous intervenons à sa demande dans ce festival depuis plusieurs années. Nous installons un stand pendant les concerts et un espace aménagé à l’arrière du stand pour accueillir les victimes éventuelles de VSS. Nous informons l’équipe technique et les bénévoles du bar dès notre arrivée. Ces derniers peuvent ainsi nous adresser les personnes ayant besoin d’aide. Aussi, nous accueillons les personnes victimes de VSS, tandis que les référent·es de la ville et les représentant·es de la sécurité gèrent les personnes autrices de violence. »
Comment cela s’est passé avec le public ?
« Très bien. J’apprécie qu’au Cabaret Frappé, les publics soient diversifiés. Pour commencer, il y a des familles, aussi nous adaptons notre discours pour les enfants. Nous discutons de la notion de consentement, et cela donne lieu à de riches échanges avec eux et leurs parents qui viennent chercher des ressources. Nous avons ainsi remarqué que plusieurs enfants connaissent cette notion, abordée en cours à l’école primaire ou au collège.
J’ai aussi eu des conversations avec de jeunes adultes bien informés sur le consentement et le respect d’autrui. Nous avons beaucoup été interrogé·es sur ce sujet, et également sur la sexualité, et la santé sexuelle, notamment sur la manière de demander le consentement. “Doit-on le demander ? pourquoi on le demande, est-ce que ce n’est pas bizarre de parler de ça ?”.
À Serein·es, nous mettons l’accent sur l’importance du consentement dans la sexualité. Nous invitons à le verbaliser, essayant de désacraliser cette croyance selon laquelle il est possible de se comprendre sans se parler. Certaines personnes nous répondent que “le corps parle”. C’est vrai, mais il ne parle pas “bien”. D’un point de vue neurologique, quand une personne subit une agression, soit elle fuit, soit elle est sidérée, soit elle se soumet. Donc on ne peut pas interpréter l’existence d’un consentement en se basant sur les réactions du corps puisque certaines d’entre elles donnent l’impression que la personne acquiesce à une proposition alors que ce n’est pas le cas.
Le but est d’amener les gens à réfléchir au sujet de leurs pratiques intimes et du respect des limites de chacun·e. Quand je pose une question un peu naïvement à une personne sur ce thème et que je comprends qu'elle ne peut pas me répondre parce qu’elle est en train de réfléchir - comme si je lui avais “posé une colle”, et qu’elle me répond “oui, c’est vrai, peut-être que tu as raison”, j’éprouve une certaine satisfaction, cela ouvre sur d’autres possibles.
Sur le stand, nous avons une roue avec des questions que les gens viennent tourner, souvent en groupes ; c’est ludique et cela entraîne des discussions. Certaines questions sont globales et interrogent sur "que dois-je faire si mon ami·e a un comportement déplacé ? Mon but, quand je vais en soirée, est-il de rentrer accompagné·e ? est-ce que si on s’est embrassé·es à une soirée et que je vais chez toi ensuite, cela veut dire que l’on va avoir des relations sexuelles ensemble ?”. Nous essayons d’essaimer la notion selon laquelle le consentement est révocable à tout moment : ce n’est pas parce qu’une personne consent à embrasser quelqu’un·e ou qu’elle accepte d’aller chez une autre qu’elle souhaite avoir des relations sexuelles avec elle. »
Lors de cet événement, certaines personnes vous ont-elles fait part d’avoir été victimes de VSS ?
« Une personne est venue pour signaler quelqu’un. Elle nous a parlé de ce qui s’était passé, n’a pas souhaité se rendre dans l’espace chill, préférant repartir participer à la soirée. Nous avons fait remonter ce fait aux référents VSS de la Ville de Grenoble et de la sécurité. Chez serein·es, nous ne faisons pas de suivi de victime. Mais si une personne subit des VSS lors d’une soirée, elle peut nous contacter et nous pouvons l’orienter vers d’autres associations qui réaliseront un suivi médical, social, juridique etc.⁵
À présent que nous maîtrisons la question de l’accueil des victimes, nous ouvrons une réflexion sur la question de la gestion des personnes autrices de violences, qui se pose de plus en plus fréquemment au stand. Nous cherchons des ressources et pour cela nous avons rencontré l’association “Nous sommes" pour nous informer sur le sujet. Elle organise des cercles de paroles pour les hommes cisgenres et d’autres pour les personnes autrices de violence reconnues coupables par la justice. »
Y a-t-il d’autres formes de discriminations que vous remarquez dans les festivals ?
« Oui, nous constatons des LGBTQIA+phobies⁶, de la toxicophobie, du validisme, de l’âgisme… Nous avons été formé·es à l’accueil des personnes présentant des handicaps plutôt invisibles (tels des profils neuro-atypiques et psycho-atypiques), et leur offrons la possibilité de se reposer dans notre espace chill quand il est libre. Le milieu de la fête se caractérise en effet par beaucoup de bruit, de gens, de lumière. Au niveau sensoriel, ça peut être très intense pour certaines personnes. »
Quels sont vos projets, questionnements actuels ?
« Un de nos enjeux actuels consiste à mener des actions hors de Grenoble, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Par exemple, nous avons été présents au festival Hadra Trance Festival cet été dans l’Allier et en septembre à Die, au festival L’Échappée des rues.
À côté de cela, nous étudions l’éventualité d’intervenir dans le milieu des free parties aux côtés d’associations de réduction des risques liés aux stupéfiants. En outre, nous construisons un partenariat de plus en plus important avec l’université de Grenoble (l’UGA) et formons des étudiants à tenir des stands de prévention.
Enfin, nous avons pour objectif que les partenaires pour lesquels nous intervenons se forment afin d'être autonomes et que nous puissions travailler avec des associations récentes plus petites. Certaines associations qu’on accompagne depuis trois ou quatre ans ont maintenant leur propre pôle de prévention des VSS, c’est à nos yeux très gratifiant. »
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¹ Un espace chill est un lieu protégé et calme permettant de se détendre.
² Ces espaces accueillent les femmes et personnes minorisées en genre.
³ La coercition à la reproduction désigne un ensemble de comportements cherchant à contraindre la liberté ou à influencer les choix d’une autre personne en matière de procréation ou de contraception.
⁴ La soumission chimique est le fait de faire consommer un produit (drogue ou médicament comme le GHB (gamma-hydroxybutyrate), l’ecstasy ou les anti-dépresseurs) à une personne à son insu pour l’agresser - sexuellement ou non.
⁵ Les membres de Serein·es peuvent être amenés à remettre aux personnes concernées un flyer qui répertorie tous les contacts grenoblois faisant du suivi médical, social ou juridique. Ils et elles les orientent potentiellement vers le planning familial, l’association Issue de secours, L’Appart, et des associations nationales comme France victimes, l’Enfant bleu.
⁶ LGBTQIA+ est un acronyme constitué de la façon suivante : L pour lesbienne, G pour gay, B pour bisexuel·le, T pour transgenre, Q pour queer, I pour intersexe, A pour asexuel·le ou aromantique, + pour Plus. Ce dernier symbole se reporte à d’autres identités et orientations pas spécifiquement représentées par les lettres précédentes. Cela inclut des personnes dont les identités de genre et les orientations sexuelles ne sont pas spécifiées dans l’acronyme.
> Pour aller plus loin
> Livres
Ovidie et Diglee. Baiser après #MeToo. Lettres à nos amants foireux. Marabulle. 2020. 128 p.
Rey-Robert, Valérie, Une culture du viol à la française, Libertalia, 2020. 304 p.
> Brochure
PROUTE. Apprendre le consentement en 3 semaines, le cahier de vacances. 48 p.
> Flyer sur le consentement
Bienveillance en milieu festif, proposé par Consentis.
> Animé Le consentement avec un thé. Blue Seat Studios, version française Télé Millevache.
Crédit photo : © Serein·es
Avec nos remerciements chaleureux à Jano de Serein·es pour son accueil chaleureux et cette interview.
Frédérique Hellé pour Alpesolidaires