Audrey, Suzanne et Justine sont les trois salariées du Thé à coudre, un espace convivial qui mixe un salon de thé, une offre de restauration avec essentiellement des produits bios, de saisons et locaux, et l’animation d’ateliers autour des travaux d’aiguilles. Audrey et Suzanne sont déjà associées de la SCOP, Justine le sera elle très prochainement. Au Thé à coudre, on peut venir apprendre à coudre des accessoires zéro déchet, tricoter un tour de cou, faire ses propres vêtements, mais aussi assister à une conférence ou une soirée-concert au gré de la programmation. Deux ans et demi après l’ouverture du lieu, nous sommes allés découvrir comment est née cette initiative et ce qui a permis son succès. Audrey, l’initiatrice du projet nous a reçus pour répondre à cette interview.
Bonjour Audrey, le thé à coudre a ouvert il y a maintenant deux ans et demi. A quand remonte l’idée de ce projet ? Les prémices remontent, je dirais, à six ans en arrière. Avant l’ouverture, nous avons mis deux ans avec l’équipe pour maturer le projet. Et auparavant, cela faisait déjà un an et demi que j’y réfléchissais de mon côté.
Comment l’idée de ce concept a-t-elle germée ? Pendant que je faisais une thèse en gestion thermique des bâtiments, j’ai suivi une formation à la création d’entreprise. L’idée de pouvoir créer ainsi le job de mes rêves m’attirait. En même temps, cela me faisait très peur et me semblait difficile à concrétiser. Etant dans une recherche d’autonomie dans ma consommation et aimant les activités manuelles, je me suis intéressée aux thèmes du faire soi-même et de la réparation. Sur Grenoble, il existait déjà des concepts de mutualisation, pour réparer son vélo par exemple, ou de l'électroménager avec les Repair cafés. Mais c’était peu développé pour les travaux d’aiguilles. C’est comme ça que l’idée est née.
Vous avez ensuite rapidement constitué une équipe autour du projet ? Oui, les rencontres se sont faites au fur et à mesure. En l’espace de quatre à cinq mois, nous étions cinq. Aujourd’hui nous sommes quatre associées, dont trois salariées. Je suis essentiellement au service, Suzanne à la cuisine et Justine à l’atelier, mais nous restons polyvalentes.
Vous avez dès le départ choisi de créer une SCOP, une société coopérative dont les salariés sont les associés majoritaires. Qu’est-ce qui a guidé ce choix ? Nous avions envie de créer une entreprise éthique, avec des valeurs humaines. Nous avons étudié le format de la SCIC et de l’association qui permettent d’avoir des bénévoles. Mais le montage de la SCIC était plus compliqué, et l’association ne nous permettait pas d’être au Conseil d'Administration en tant que salariées, cela nous a fait un peu peur. Nous perdions alors notre mot à dire sur le projet dont nous étions à l’initiative. Finalement c’est la SCOP qui répondait le mieux à nos critères.
Comment avez-vous connu l’ESS, l’Économie Sociale et Solidaire au départ ? J’étais allée questionner d’autres lieux que je trouvais inspirants pour notre projet, notamment le Café Vélo, qui est aussi une SCOP. Ce statut répondait à des points pour nous essentiels : l'importance de l‘humain, la dimension solidaire et égalitaire, ainsi que la notion de pérennité. Nous partageons dans l’équipe une sensibilité tournée vers le respect de l’environnement, le bio et le local. Nous faisons ainsi de la vente à emporter dans des bocaux consignés, ou dans les propres contenants de nos clients. Nous proposons aussi la livraison en vélo, avec notre partenaire Sicklo.
Avez-vous été soutenues dans la création du projet ? Oui, beaucoup. Le fait d’être en SCOP permet d’être accompagné par plusieurs organismes. C’est très aidant, il y a une grande solidarité dans ce réseau. Nous avons été suivies en amont du projet, et le sommes toujours aujourd’hui, par l’URSCOP (l’Union Régionale des SCOP), et par GAÏA (Grenoble Alpes Initiative Active), notamment pour les suivis financiers, les demandes de subventions et les garanties bancaires. Nous avons ainsi pu emprunter de l’argent sans mettre nos garanties personnelles, ce qui est très rassurant. Depuis la crise sanitaire, l’URSCOP et GAÏA sont très présents, attentifs à ce que tout se passe bien pour nous.
Y-a-t-il une entraide entre structures de l’ESS ? Oui nous échangeons beaucoup entre nous, nous parlons de nos difficultés, cela fait du bien de ne pas se sentir seuls, notamment face à la crise sanitaire actuelle. C’est un milieu très solidaire. Nous sommes par exemple toujours en lien avec le Café Vélo et La Bonne Pioche. Lorsque j’étais dans un incubateur étudiant au début du projet, Céline, l’une des fondatrices de La Bonne Pioche a été notre tutrice, côté entreprise. Elle et son équipe sont aussi en SCOP. Partageant les mêmes valeurs, elle nous a beaucoup aidées par sa propre expérience. Ces échanges entre structures sont précieux et ouvrent des perspectives. C’est ainsi qu’émergent parfois de nouvelles idées et de nouvelles collaborations.
Est-ce que les choses se sont passées comme dans le prévisionnel ? Non ! Il y a des activités que l’on pensait faire et que nous n’avons pas réalisées, d’autres non envisagées au départ qui ont finalement vu le jour. C’est un lieu vivant, où les clients apportent aussi leurs idées. C’est comme cela par exemple que nous avons proposé la location privative de l’espace. C’est venu au départ de demandes de clients qui ont trouvé le lieu beau et chaleureux, et ont eu envie d’y organiser un évènement. En ce moment, du fait de la crise sanitaire, cela n’est plus possible. C’est une adaptation permanente.
Quel est votre point de vue sur la génération Y : est-elle, selon vous, davantage en quête de sens et plus audacieuse ? Oui je pense. Je sors d’une école d’ingénieurs. Sur l’ensemble de mes copains de promotion, seulement 10% le sont encore. Et parmi ceux-ci, la plupart ont choisi de s’orienter sur des missions avec un sens environnemental. Les 90% restants se sont orientés dans des domaines plus artistiques, dans le bien-être ou le maraîchage. Les gens qui m’entourent et qui ont à peu près mon âge vivent souvent de plusieurs activités. Leurs choix se portent principalement autour du soin et du bien-être, des arts du cirque et du spectacle ou de la dimension écologique et environnementale, dans le fait de consommer autrement. Je sais que tout le monde ne fonctionne pas comme cela, mais je pense qu’aujourd’hui, il y a vraiment un mouvement qui cherche à sortir de l'entreprenariat classique. C’est inspirant, et cela fait du bien d’être entourée de personnes qui portent des projets différents, alliant le sens à leurs multiples compétences.
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Nadège Bredoux pour Alpes Solidaires