Alice et Marie, 24 et 25 ans ont créé en décembre dernier « Les Mijotées », à partir d’une idée astucieuse : valoriser les fruits et légumes non récoltés par des particuliers et des producteurs dans un rayon de 15 km autour de Grenoble et les transformer en des mets savoureux ! Diplômées de la formation Arobase en Économie Sociale et Solidaire et enrichies de leurs premières expériences professionnelles, elles se donnent douze mois pour réaliser leurs premières expérimentations via une association de préfiguration. A la fin de l'année, le bilan leur permettra d'imaginer la suite de l'aventure qu'elles envisagent sous forme de SCIC, un modèle d'entreprise collaborative et participative dont elles deviendraient salariées associées. Curieux de découvrir leurs motivations à entreprendre dans l'Économie Sociale et Solidaire, nous sommes allés à leur rencontre. Marie n’ayant pu se libérer ce jour-là, Alice a répondu à nos questions.
Bonjour Alice et merci d’avoir accepté cette interview. Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer comment est né votre projet des “Mijotées” ? Il est né de l’envie de faire un travail qui nous porte et de notre rencontre avec Marie. Elle réfléchissait depuis un moment à des projets de création de lieux culturels pour créer du lien, de mon côté mûrissaient des envies autour de la cuisine, des produits locaux et de saison depuis quatre ans. Nos chemins se sont croisés à la formation Arobase en Économie Sociale et Solidaire. Quand nous nous sommes rencontrées, je savais que Marie allait être importante dans ma vie, sans trop la connaître. A l’issue de la formation, nous avons vogué à nos vies respectives avant de nous retrouver pour voyager en Andalousie. Nous avons alors évoqué à nouveau nos projets, Marie a décidé de venir s’installer à Grenoble et nous avons commencé à construire “Les Mijotées”, en mixant nos talents complémentaires.
Quels sont les différents axes du projet ? A la différence des associations qui récupèrent des invendus, notre projet s’articule autour de la valorisation de produits voués à rester dans un champ ou sur un arbre. Il y a tout d’abord une partie « sensibilisation » avec les cueillettes, une façon de partager et créer du lien social. Nous proposons aux bénévoles de venir avec nous et de récupérer des fruits, c’est un échange. Pour la suite, nous aimerions animer des ateliers cuisine et de récolte. Cette idée germe tranquillement pour l’instant. Et puis il y a la partie « traiteur » sur des événements que nous avons commencé à tester. A terme, nous souhaiterions proposer la livraison de repas à midi sur le lieu de travail.
Quelles ont été les différentes étapes pour vous lancer ? Nous avons d’abord pris beaucoup de temps pour penser ensemble le projet, l’adapter à nos envies, y apporter nos forces et nos centres d’intérêt respectifs. Puis est venu le confinement, nous avons construit le projet à distance, créé des budgets, des outils de communication, pris des premiers contacts. Cette période a été propice pour poser les choses. Nous étions forcées de prendre du temps, nous avons pu bien clarifier nos envies, puis avons commencé à aider des producteurs. Ensuite tout est allé très vite, nous avons réalisé nos premières récoltes en mai.
Qu’est-ce qui vous plaît avant tout dans ce projet ? La globalité du cheminement : la récolte puis la transformation, jusqu’à la vente. Nous nous fixons certes des objectifs, mais l’essentiel est d’abord de prendre du plaisir dans ce que nous faisons. Notre apprentissage passe par du concret avant tout. Nous avançons en expérimentant, puis en ajustant en fonction de la réalité du terrain.
Avec combien de producteurs travaillez-vous aujourd’hui ? Nous avons un partenariat avec trois producteurs différents : La ferme de Loutas à St Martin d’Uriage, Jean-Noël Plauchu à Montbonnot et Houblon Bocq à Vaulnaveys. Nous avons construit de vraies relations, basées sur l’échange de services. Tout le monde s’y retrouve. En contrepartie des fruits et légumes que nous cueillons gratuitement chez eux, nous leur achetons à juste prix les produits complémentaires dont nous avons besoin pour réaliser nos plats. Nous leur donnons aussi des coups de main bénévoles sur certains chantiers.
Quel statut avez-vous choisi pour réaliser votre projet ? Nous avons créé une association de préfiguration de SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif). C’est exactement le même fonctionnement qu’une association classique, à la seule différence que nous avons notifié dans les statuts la perspective d’évoluer ensuite en SCIC. Marie et moi sommes les initiatrices et porteuses du projet. Sept personnes font partie du Conseil d’Administration et nous apportent leur soutien. Elles participent activement à la stratégie et au développement du projet. Marie et moi assurons le quotidien et la logistique.
Vous vous êtes fixé des objectifs à atteindre pendant une période d’expérimentation avant d’envisager la suite. Où en êtes-vous aujourd’hui ? Nous avons défini une période d’expérimentation allant de juin à fin décembre. Notre objectif est de réaliser cinq prestations en service traiteur pour des évènements, à partir de nos cueillettes. A ce jour, nous en avons réalisé trois, allant de 10 à 100 personnes : un enterrement de vie de jeunes filles, une fête de village et un anniversaire. Les deux autres sont planifiés sur septembre et octobre dont la fête d’inauguration de la Ferme du Loutas, notre partenaire. La partie traiteur avec livraison de repas sur des lieux de travail le midi est envisagée à l’horizon janvier 2021, quand nous aurons un vrai lieu de transformation des fruits de nos cueillettes.
Avez-vous des pistes côté cueillettes ? Oui nous en avons plusieurs. Pour le moment nous fonctionnons avec des partenaires qui nous prêtent occasionnellement leur cuisine. Mais nous cherchons à avoir un lieu fixe avec une possibilité de stockage. Cap Berriat, dans son futur bâtiment prévoit de créer une cuisine et un espace de restauration. Nous réfléchissons avec eux à assurer avec d’autres associations la gestion de cet espace. Nous sommes aussi en lien avec « Cultivons nos toits », une association d’agriculture urbaine qui va ouvrir un local de transformation à côté de la Bifurk. Ce sera un laboratoire de transformation adapté à nos besoins, qui sera mis à disposition des habitants, d’associations et du futur “Bar radis”, le projet collectif porté par Cultivons nos toits, La tête à l’envers et Maltobar.
Le respect de l’environnement est l’une de vos valeurs fortes. Comment limitez-vous votre impact ? Nous limitons l’utilisation de déchets à usage unique en privilégiant l’achat en vrac. Pour les produits dont nous avons besoin pour préparer nos plats en complément des cueillettes, nous nous fournissons à La Bonne Pioche et la Biocoop de Championnet. Pour les livraisons, nous avons choisi le vélo et travaillerons avec Sicklo.
Avez-vous été accompagnées dans votre projet ? Oui Cap Berriat et Gaïa nous ont accompagnées. Y-nove nous a aidées à trouver des financements par le montage d’une campagne de crowdfunding. Habitant à Venon, nous avons pu tisser des contacts sur place. Le maire nous a soutenues en faisant passer un questionnaire aux habitants, ce qui nous a permis de rencontrer des particuliers intéressés par les récoltes. Nous avons aussi diffusé ce questionnaire sur Eybens, Venon et Echirolles où habite Marie.
Comment avez-vous connu l’ESS et pourquoi avez-vous fait ce choix pour entreprendre ? Personnellement j’ai fait une école de commerce, mais je ne me retrouvais pas dans les mentalités au sein de ma promo. A la fin de mes études, j’ai décidé de faire un service civique puis j’ai découvert la formation Arobase. Nous avons à coeur avec Marie de travailler avec les gens, dans un respect mutuel. Dans les partenariats que nous tissons, il est important pour nous que tout le monde soit gagnant. Nous cherchons aussi à sensibiliser les personnes au respect de l’environnement à travers nos actions. Nous essayons d’apporter une réponse à des choses qui nous dérangent dans le monde actuel, tout en ayant une dimension sociale. Choisir l’ESS, c’est aussi choisir un type de structure, association ou coopérative avec des modes de fonctionnement qui permettent d’autres rapports humains, démocratiques et égalitaires.
Selon vous, est-ce que cette envie d’innover et de trouver du sens est partagée par toute la génération Y ? Si l’on regarde autour de nous, oui clairement. Mais nous avons conscience, au sein de notre cercle amical, d’être dans un microcosme qui n’est pas la réalité de toutes les personnes de notre génération. Ce que l’on peut dire par contre, c’est que beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur le sens du travail.
Pour conclure cette interview, quels seraient vos conseils pour se lancer dans un projet ESS ? Je pense qu’au départ il est important de bien poser les choses et d’avancer petit à petit. Avec du recul, je me rends compte qu’au début on veut souvent trop en faire. Alors très vite, on peut se retrouver sous tension. Quand un projet nous plaît vraiment, on est plein d’enthousiasme, on répond oui à toutes les sollicitations. Mais en réalité, il est important d’y aller par étape. Je pense qu’il faut aussi bien s’entourer, car il y aura aussi des moments plus durs. Il est important de se faire accompagner à la création, il y a de nombreuses structures pour cela. Enfin, je dirais qu’il ne faut pas avoir peur que ça ne marche pas. Car même si l’on réalise que ce n’est pas fait pour nous, dans tous les cas, on aura appris beaucoup de choses !
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Nadège Bredoux pour Alpes Solidaires