L’édition et sa diffusion en France. (Part.2)

Cet article fait suite  " La libre circulation de la pensée... Part.1", accessible ici

 
Il existe encore quelques périodiques indépendants tels Charlie Hebdo ou le Monde Diplomatique (qui ne génèrent pas ou très peu de recettes ‘pub’ et n’appartiennent pas non plus à des empires financiers) dont la survie ‘papier’ est plus à risque que les poids-lourds de la presse ‘people’ ou ‘féminine’, par exemple. Truffés de publicités (dont les taris sont fixés en fonction du tirage), vendus presque à perte malgré des tirages pharaonesques (mais à un prix de revient unitaire dérisoire), eux font référence en matière de rentabilité.

Hors tout circuit officiel, il existe des ébauches de solutions réellement indépendantes, un nombre infini de tentatives et quelques réussites. La clef de l’existence d’un périodique réside dans la connaissance précise de la cible à laquelle il se destine. Sa pérennité sera assurée par la pertinence de son propos, fidélisant sa base et lui permettant à terme d’élargir son lectorat (voire son budget publicitaire), au risque cependant d’inspirer ou de générer une concurrence.

La forme légale que prend l’entreprise ‘auto-éditeur’ peut être au départ celle d’une association, ou encore d’un auto-entrepreneur : pas de TVA, pas de commission paritaire, pas de retours d’invendus ni de taxe à 2,25 % sur les ventes, pas de bilan comptable annuel (et pas non plus de carte de presse pour les participants à l’aventure). L’auto-édition génère très peu d’invendus et de fait gâche peu de papier !

Une des premières formes de presse indépendantes est le fanzine  : publication à petit tirage et souvent petit budget, elle s’adresse à l’évidence à un public de fans, ciblé, modeste, mais aussi passionné que ses rédacteurs. C’est une presse associative souvent libre et vivace, à la parution un peu aléatoire : elle n’est pas destinée à générer autre chose que le remboursement de ses frais d’impression et d’envoi. Elle se constitue éventuellement un réseau de revendeurs en dehors des points de vente agrées (sans pour autant les exclure), généralement chez des commerçants qui partagent leurs intérêts : par exemple un fanzine de rock trouvera sa place sur le comptoir d’un disquaire, également indépendant par ailleurs.

Cette approche particulière de la distribution alternative a vocation à créer et animer un réseau tout aussi alternatif qui peut s’étendre aux commerces apparentés à l’univers initial de la revue : concept-stores, revendeurs auto-moto etc. De plus, les acteurs évoquées dans cet exemple se croisent ou se rejoignent dans le domaine de l’événementiel : concerts ou salons professionnels génèrent des ventes directes, renforcent les contacts ou en proposent de nouveaux. On peut déduire de cet exemple qu’en principe toute publication indépendante possède de part son orientation éditoriale son propre canal de distribution. Charge à l’éditeur de connaître sa cible et de développer son réseau de distribution… A terme, le label ‘fanzine’ ne peut plus s’appliquer à une publication qui dépasse le succès d’estime pour devenir à part entière journal ou magazine.

A ce stade, il est généralement accepté par les distributeurs d’acheter des exemplaires (à tarif négocié entre 25 et 35 % du prix facial), une solution préférable au ‘dépôt-vente’ qui nécessite un suivi fastidieux.

Ceci posé, il ne faut pas hésiter à viser l’international si la cible s’y prête, et publier en plusieurs langues au besoin : la Poste propose toujours l’ancien tarif ‘Livres et Brochures’ qui permet d’expédier hors frontières des imprimés à des tarifs préférentiels. Pour des raisons douteuses de rentabilité, La Poste a effacé de son site web le barême correspondant, mais il est prouvé que l’envoi Europe coûte jusqu’à deux fois moins cher que l’envoi national, à poids égal...

- Production et promotion

La concentration et l’ergonomie des outils logiciels sur un seul poste peuvent ne nécessiter qu’un seul opérateur : la chaîne numérique de l’éventuel appareil-photo au logiciel de mise en page, en passant par les outils de retouche ou de création graphique est aisément maîtrisable par un seul individu. Pour peu qu’il aime ou sache rédiger, il peut donc créer seul sa publication, d’autant que le choix de l’imprimeur est rendu aisé via l’internet.

L’utilisation de ce dernier peut s’avérer vital, comme il permet l’information, la promotion et la vente des périodiques. Il facilite le contact avec le réseau (lecteurs, distributeurs, contributeurs), aide à le structurer, autorise l’échange rapide de données cruciales (articles, photos, vidéos, factures, virements) et souvent complémente l’offre initiale ‘papier’. Il arrive même à s’en affranchir car :

- toute publication est finalisée au format numérique. En toute logique informatique, rien ne s’oppose donc à ce qu’elle soit mise en ligne.

- la structure même l’internet permet de se libérer à la fois des coûts logistiques traditionnels (impression / envois) et de la stricte périodicité.

Cependant la visibilité d’un site dédié (et ses réseaux sociaux corrolaires), de même que son référencement, son évolution vers un mode payant ainsi que ses nécessités de développement spécifiques s’avèrent rapidement coûteux.

Au delà de cet aspect restrictif, et bien en deçà de ce qui pourrait être défriché sur la problématique de l’internet, il faut souligner l’importance du réseau que les blogs et les portails généralistes colportent sur les parutions indépendantes, sans compter que certains peuvent devenirs revendeurs.

 

EXEMPLES DE PRESSE INDEPENDANTE

 

PIDGIN (fanzine d’informations culturelles grenoblois)

Publié par les éditions Camion de glace, Pidgin cherche à tisser des liens entre différentes cultures, lieux et esthétiques par le biais de moyens d'expression délibérément bruts (photos, illustrations, playlists…) Avec un langage simple, des moyens limités et des ambitions multiples, ce périodique récent veut sortir du brouhaha des flux constants d'information, échapper aux carcans et dogmes établis, brouiller les frontières entre culture populaire et avant-garde, confronter enfin des influences éparses et hétérogènes pour mieux ouvrir de nouvelles perspectives.

 

LE POSTILLON (journal d’information du bassin grenoblois)

Depuis bientôt 9 ans, le journal associatif d’informations locales « Le Postillon » existe sous une forme indépendante, imprimée et payante  (3 euros , conditions particulières pour les personnes désargentées, gratuit pour celles qui sont incarcérées). Il est disponible en kiosque, lieux associatifs et quelques commerces. Né d’une volonté de créer une alternative à la presse historique régionale, il a été lancé par une équipe de passionnés qui l’a vendu à la criée lors de la fête du Travail de 2009. Sa parution est aléatoire, et son tirage atteignait 1500 exemplaires à partir du numéro 5.

L’investissement de départ, cité dans un entretien sur le site Article 11, a été de 320 Euros nécessaires à l’impression des 800 premiers numéro, alors vendus 1 Euro pièce. Depuis lors la pagination et traitement ont évolué et bien que les contributeurs soient toujours bénévoles, cette entreprise qui professe l’indépendance journalistique en tire bénéfice en terme de longévité

 

DICE (magazine de culture populaire, orienté moto)

Né à Londres sur le modèle de « Rolls and Pleats », un fanzine rockabilly publié initialement dans le bassin grenoblois, le trimestriel DicE proposait dès 2004 sous un format poche un panaché d’images reflètant les exemples d’iconiques véhicules recyclés en accessoires lifestyle. Leur formule ‘le choc des photos et la légèreté des mots’, pour retourner le slogan historique de Paris Match, leur assurait une lecture facile de par le monde non-anglophone. De fait, leur publication diffusée à la base dans les quelques réunions du genre dans les pays limitrophes trouva rapidement un lectorat, et dans la foulée un premier cercle de distributeurs européens. Suite à ce succès d’estime relayé par l’internet (à l’époque sans Facebook ni Myspace), cette publication abordable trouva sans problème un public aux USA.

Les deux associés originaux s’installèrent progressivement en Californie, et depuis Los Angeles continuèrent leur travail de vulgarisation avec un succès grandissant : seuls sur un créneau qui n’intéressait aucun autre organisme de presse, ils générèrent un intérêt tel qu’ils durent se diversifier rapidement : ils créèrent des lignes de vêtements, des livres, des films, puis des évènements spécifiques.

Leur réseau de distribution planétaire désormais est toujours assuré par leurs soins et la version en ligne de leur magazine n’a pas pris le pas sur la version papier. Ils font aujourd’hui référence en matière de motos modifiées, mais aussi et pour ce qui nous intéresse, en matière de presse indépendante et associative.

 

ALTERNATIVES ECONOMIQUES

Avec près de 850.000 lecteurs (web inclus), ce mensuel économique diffusé tant dans l’Hexagone qu’à l’international est structuré sous forme de SCOP. « Alors qu’un titre de presse joue généralement son avenir au lancement, Alternatives Economiques connaît depuis sa création une croissance progressive, depuis un premier numéro paru en novembre 1980, tiré à 2 000 exemplaires, imprimés sur 16 pages en noir et blanc et sur papier recyclé. Alternatives Economiques est aujourd’hui un magazine diffusé à 90 000 exemplaires chaque mois, sur 100 pages en couleur. »

Dans cette structure inhabituelle au sein de la presse nationale, «  les salariés sont associés et majoritaires au capital. Les autres associés sont ses lecteurs, à travers l’Association des lecteurs et la Société civile des lecteurs, qui accueille les associés extérieurs amis du journal (personnes physiques ou morales). »

L’indépendance financière et la gouvernance démocratique de la Scop constituent les fondements de son projet politique et de son indépendance éditoriale.

 

(Image source : Alternatives Economiques)

La libre circulation de la pensée : l’édition et sa diffusion en France. (Part. 3) disponible ici.

 

Laurent Bagnard pour Alpes Solidaires

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