« Les orientations subies sont une source de décrochage scolaire très importante. D’ailleurs, les plus forts taux de décrochage se font durant le premier trimestre du lycée. Cela est d’autant plus vrai dans les établissements classés REP et REP+ ».
C’est en partant de ce constat qu’Adlen Hachani - délégué territorial métropolitain de l’AFEV 38 - souligne l’importance de l’action menée par l’Association de la Fondation Étudiante pour la Ville (AFEV). Cette structure, dont l’objectif est de lutter contre les inégalités scolaires de la maternelle jusqu’à l’enseignement secondaire, a développé son dispositif en Isère en 2007.
REP : Réseau d’éducation prioritaire. Il s'agit d'un système regroupant les écoles et les collèges généralement localisés dans des cités de grands ensembles dans lesquels les difficultés sociales et scolaires sont plus marquées. Des moyens supplémentaires y sont déployés. Les élèves et les équipes éducatives bénéficient d'un meilleur accompagnement dans leur apprentissage afin de réduire ces inégalités et d'améliorer les résultats scolaires. Le ministère de l'Éducation nationale classe les établissements en fonction d'un "indice social". Celui-ci comprend quatre paramètres qui peuvent affecter la réussite scolaire :
* Le taux de catégories socio-professionnelles défavorisées
* Le taux d'élèves boursiers
* Le taux d'élèves résidant dans un QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville)
* Le taux d'élèves ayant redoublé avant la sixième
REP + : Les établissements classés REP+ concernent les quartiers ou secteurs isolés qui connaissent les plus grandes concentrations de difficultés sociales ayant des incidences fortes sur la réussite scolaire. Cela signifie que les élèves sont encore plus défavorisés que les autres et que les établissements scolaires bénéficient de moyens supplémentaires.
Politique de la Ville et QPV (Quartier prioritaire de la Politique de la Ville) : La Politique de la Ville a pour but de réduire les inégalités sociales et urbaines entre les territoires en concentrant sur les quartiers les plus en difficultés, les quartiers dits prioritaires, des moyens spécifiques. Cette politique globale agit de manière transversale sur tous les pans du droit commun avec des moyens spécifiques : emploi et développement économique, éducation, amélioration du cadre de vie, accès à la culture et à la santé ou rénovation urbaine.
KOT : Mot d’origine flamande qui désigne un logement privé loué à des étudiants pendant l'année scolaire ou universitaire en Belgique.
Sur l’antenne de Grenoble les ambitions sont fortes et assumées ; et afin d’atteindre ses objectifs l’AFEV 38 a déployé sur son territoire cinq dispositifs : le mentorat étudiant, le mentorat lycéen, les colocations solidaires (KAPS), les volontaires en résidence et enfin Démo’Campus.
Le mentorat étudiant, créateur de liens solidaires entre les campus et les quartiers populaires
Le mentorat étudiant permet la rencontre de la jeunesse étudiante et de la jeunesse issue des QPV et/ou scolarisée en REP et REP+. Ce dispositif permet à chaque étudiant d’accompagner un élève de primaire ou du secondaire durant l’année scolaire, à hauteur de deux heures hebdomadaires. Cela peut prendre la forme d’aide aux devoirs, mais également d’aide à l’orientation scolaire et de conseils.
Un mentorat étudiant permettant de l'aide aux devoirs
Comme aime le rappeler M. Hachani, « il y a une philosophie d’immersion, de partage de temps, de mutualisation des expériences et des connaissances ». Les barrières entre ces deux jeunesses tombent. Et cela ne relève pas seulement de la forme figurative. En effet, les temps d’accompagnement se font au domicile de l’élève. L’immersion est donc totale. Le succès du dispositif n’est par ailleurs plus à prouver, puisque sur Grenoble seulement, c’est trois cent soixante treize mentorats étudiants qui ont été mis en place depuis 2007.
Le mentorat lycéen, un dispositif qui place le lycéen en position de ressource
Le mentorat lycéen permet à des lycéens d’accompagner des écoliers ou des collégiens durant l’année scolaire au sein des établissements de proximité. L’accompagnement peut prendre la forme d’ateliers (d’aide aux devoirs et de méthodologie) ou de sorties. Comme le précise M. Hachani, « le lycéen est habituellement perçu comme celui bénéficiant de ressources. Il s’inscrit lui-même dans la boucle scolaire et profite donc de l’enseignement de l’éducation nationale. Cependant, dans le cadre de ce dispositif, il contribue au système éducatif et en devient même un élément de ressource ». Ce cercle vertueux connaît un franc succès à Grenoble. Il a en effet permis la mise en place de cent mentorats lycéens depuis 2022.
Les KAPS, des colocations vecteurs de sociabilisation, d’émancipation, d’engagement et de solidarité
Les KAPS « dont le K ne relève ni d’une dyslexie ni d’une faute d’orthographe », comme s’amuse à le rappeler M. Hachani, sont l’un des dispositifs phares de l’AFEV 38.
Le mot qui tire son origine de la formule belge « Kot à projet », désigne en réalité des colocations solidaires. Précisément, il s’agit de logements à destination des jeunes de moins de trente ans (qu’ils soient jeunes actifs ou services civiques) et des étudiants sans limite d’âge.
Ces derniers, les Kapseurs bénéficient d’une colocation à loyer modéré tout en s’engageant sur deux à cinq heures de bénévolat par semaine. Leur bénévolat se fait, au choix, soit au bénéfice de l’accompagnement d’un enfant résidant dans le quartier, soit au bénéfice de la résidence (des actions d’animation peuvent par exemple être proposées), soit en faveur de la vie de quartier (des actions de dynamisation de la vie de quartier peuvent être mises en place).
L’AFEV 38 a permis la création de quatre résidences KAPS de deux types.
- Deux KAPS dédiés aux 18-30 ans sont situés au cœur de deux QPV de Grenoble : l'une à la Villeneuve (résidence Jacques Brel) et l'autre à Mistral.
- Deux KAPS dédiés aux étudiants sont rattachés au CROUS. L’une se situe sur le campus de Saint Martin d’Hères (une commune dont la mixité sociale est importante), l’autre se situe au cœur du Village Olympique, un QPV de Grenoble.
In fine, comme le résume M. Hachani, « le dispositif KAPS garde comme fil conducteur la lutte contre les inégalités scolaires, mais il vise également des objectifs de sociabilisation, d’émancipation, d’engagement et de solidarité ».
Les volontaires en résidence, des services civiques en action au cœur des établissements scolaires
Le dispositif volontaires en résidence permet à des jeunes de l’AFEV en services civiques de consacrer dix huit heures (sur leurs vingt-six heures) hebdomadaire en milieu scolaire. Ces jeunes sont systématiquement rattachés à un établissement, en maternelle, en primaire, en collège ou au lycée.
Les volontaires en écoles primaires et en maternelle
L’action de l’AFEV 38 se décline autour de trois axes : la parentalité (la coéducation dans sa dénomination officielle), l’apprentissage de la lecture et la fracture numérique éducative.
L’action autour de la parentalité est essentielle. Comme le rappelle M. Hachani, « en REP et REP+, certains parents n’ont pas une expérience positive de l’école.Certains d’entre eux ont une connaissance approximative du français, d’autres sont bilingues et ont un très bon niveau scolaire dans leur pays d’origine, mais ils ne connaissent pas le système scolaire français. Cela contribue au maintien d’une distanciation. Nous constatons une sorte de fracture entre l’éducation pédagogique qui est dispensée à l’école et celle qui est dispensée à la maison ».
Officiellement donc l’AFEV 38 travaille sur la coéducation, mais son objectif ambitieux de lutte contre les discriminations implique pour ses volontaires d’identifier les freins socio-économiques et socio-culturels. Pour agir, les volontaires utilisent les ressources des parents.
A titre d’exemple, un travail sur la traduction de contes est fait afin d’assurer la continuité pédagogique à la maison. En outre, des ateliers d’illustration avec des marottes (des marionnettes à vocation didactique) ont été co-construits entre parents, enseignants et volontaires.
Un autre versant des actions des volontaires concerne la lutte contre la fracture numérique. Pour ses travaux, l’AFEV est partie du constat que pour certains parents l’accès à l’information scolaire (comme par exemple la consultation des notes) a été freinée faute de matériel ou de connaissances informatiques. Sans établir de lien de causalité, M. Hachani théorise toutefois que « cela peut participer indirectement au processus de décrochage scolaire ».
Les volontaires au collège et au lycée
L’action des services civiques de l’AFEV dans cadre du dispositif volontaires au collège et au lycée s’articule autour de cinq axes : le climat scolaire, l’éducation à l’action climatique, le traitement de l’information, le programme « devoirs faits » et l’orientation professionnelle.
Des ateliers thématiques et actions pédagogiques sont ainsi mis en place dans les établissements par les volontaires : lutte contre les discriminations et le harcèlement scolaire, programme éco-délégué sur la transition écologique, ou encore éducation aux médias sur la question du traitement de l'information.
En outre, le programme « devoirs faits » permet d’instaurer des temps consacrés aux devoirs et cela au sein des établissements. Ce dispositif s’appuie sur le constat qu’il existe des inégalités dans la faisabilité des devoirs maison. En effet, comme le souligne M. Hachani, « chaque élève ne dispose pas des mêmes ressources à la maison ».
L’AFEV 38 a également mis en place un programme d’aide à l’orientation. Ce programme inclut la rédaction de curriculum vitae, une aide à la recherche de stage, des ateliers d’estime de soi et de postures professionnelles.
Démo’Campus, un dispositif au service de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur
L’objectif ambitieux et assumé du dispositif Démo’Campus est de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur en favorisant une orientation choisie pour les collégiens et les lycéens. Ce dispositif inspiré du programme britannique « Aimhighter », se décline en trois temps : les ateliers, les immersions dans les campus et enfin le travail avec les parents.
Dans un premier temps, les collégiens de quatrième et de troisième participent à des ateliers animés par des étudiants. Aux prémices de l’intervention la parole est donnée aux élèves qui doivent deviner la filière d’étude de l’étudiant, son prénom, son âge et ses hobbits. Ce premier échange est souvent l’occasion de constater que les préjugés sont profondément ancrés dans l’inconscient collectif. « Les étudiantes sont souvent catégorisées comme naturellement littéraires, tandis que les étudiants sont, eux, catégorisés comme scientifiques » résume M. Hachani. L’AFEV travaille ainsi à déconstruire ces idées reçues : « nous voulons dire aux jeunes filles que si elles aiment les mathématiques, elles peuvent tout à fait faire leurs études dans cette filière ; et qu’elles ne doivent se heurter à aucun blocage sous prétexte qu’elles sont justement des filles ».
La suite du dispositif permet aux jeunes de se rendre dans un campus pour une journée d'immersion, une proposition qui permet aux collégiens de découvrir les structures universitaires et d'appréhender le quotidien d'un étudiant.
Cependant, M. Hachani insiste : « il ne s’agit pas d’une simple visite guidée. Il y a non seulement une réelle immersion mais en plus l’idée sous-jacente d’une projection de ce que peut être leur avenir.» Et de préciser : « l’idée n’est absolument pas de dire aux jeunes que les études supérieures sont la meilleure des alternatives, mais que c’est un choix possible même lorsque l’on est scolarisé en REP ou REP+. Force est de constater que dans ces établissements l’information concernant la voie professionnelle est très fournie, mais celle concernant la voie générale l’est très peu. Nous pallions donc ce manque informationnel ».
Enfin, un temps est consacré aux parents à travers l’organisation de temps de rencontres entre les parents et les professionnels de l’enseignement supérieur. Comme le rappelle M. Hachani : « la question de l'orientation se discute normalement avec les parents et pour cela, il faut donner un accès à une information précise. Cela contribue au processus de démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur ».
Ces rencontres, organisées au sein des collèges rassemblent des représentants du CROUS, de l’institut d’études politiques, de l’institut Grenoble INP et des lycées. Un véritable travail de fond est alors fait afin de déconstruire tous les a priori. Ces temps forts permettent de travailler sur les freins existant au niveau social. A titre d’exemple, l’information délivrée relative aux bourses universitaires permet d’apporter des réponses relatives à la question de la charge pécuniaire qui pèse pour certains parents.
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Force est de constater que les dispositifs déployés par l’antenne grenobloise de l’AFEV sont autant d’outils mis au service de la lutte contre les inégalités scolaires.
Mais les ambitions de l’AFEV 38 sont larges et ne s’arrêtent pas là. Son délégué territorial ne cache d’ailleurs pas sa détermination. Et lorsqu’il est interrogé sur ses souhaits professionnels, c’est sans détour qu’il imagine un programme Démo’Campus qui inclurait les enfants originaires des zones rurales, des immersions sur plusieurs jours, ou encore un projet qui permettrait l’accueil des parents sur les campus.
En bref, les besoins sont importants, les projets sont solidaires, la motivation est grande au sein de l’AFEV 38.
écrit par Inès Haroune
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