Depuis les années 2000, une vingtaine de pays se sont dotés de lois sur l’Économie Sociale et Solidaire. D’autres pays travaillent également à l’élaboration de politiques nationales sur le sujet. Petite prospective de l’ESS dans le monde.

 

L’Europe :

En Europe, l’ESS trouve ses racines dans la révolution industrielle entraînant avec elle la volonté d’améliorer les conditions de vie des travailleurs. C’est ainsi qu’en France, la première association de travailleurs de la bijouterie-joaillerie a été fondée, en 1834. L’Espagne la rejoindra en 1842 avec la première coopérative de producteurs du pays mise en place par la Société industrielle des tisserands (Compañía Fabril de Tejedores). Au Royaume-Uni, c’est une coopérative de consommateurs qui a été fondée en 1844 par les Pionniers de Rochdale, un groupe de tisserands qui travaillaient dans les filatures de coton de la ville du même nom. Enfin, en Allemagne, Schulze-Delitzsch et Raiffeisen ont créé des coopératives financières pour les agriculteurs (1848) et les artisans (en 1849).

 

L’expression « économie sociale et solidaire » n’est pas uniforme dans tout le continent. Elle est utilisée généralement dans les pays méridionaux (Espagne, France, Italie et Portugal). Dans les pays du Nord de l’Europe et à l’Est, on parle davantage de « secteur non lucratif » ou encore « d’entreprise sociale ».

 

Durant la dernière décennie, 16 pays membres de l’Union Européenne ont adopté des lois sur les entreprises sociales et 11 d’entre elles ont mis au point des politiques publiques destinées à favoriser le développement des entreprises sociales. Les structures de l’ESS en Europe font intervenir plus de 19 millions de salariés et plus de 82 millions de bénévoles. Coopérative Europe, bureau régional européen de l’Alliance Coopérative Internationale rassemble 141 millions de coopérateurs à travers 176.000 entreprises coopératives dans toute l’Europe.

 

L’Afrique

Bien que soit apparu au cours du 21ème siècle la notion d’économie sociale et solidaire en Afrique, les principes qui la régissent y sont appliqués depuis des siècles. Ils trouvent leurs origines et leurs sources dans les pratiques traditionnelles. L’esprit Africain « Ubuntu » signifiant humanité, « l’umoja » (union) ou encore «l’harambée » (entraide communautaire). Les tontines, système de micro-crédit et de coopération inter-individus, permettent l’autofinancement de petits projets d’investissement. Ce système d’épargne rotatif est très pratiqué sur le continent africain. Il est un véritable outil de lutte contre la frilosité des banques ne voulant pas octroyer de petits prêts pour cause de rentabilité et un outil de lutte contre la précarité.  

 

Les premières coopératives ont vu le jour au début du 20ème siècle par les administrations coloniales de l’époque. Elles se sont structurées à partir du milieu des années 90 à la faveur de réformes politiques et législatives. Cinq pays ont déjà mis en place des cadres législatifs et institutionnels pour l’ESS (Le Cameroun, Djibouti, le Sénégal, la Tunisie et Cabo Verde). L’Afrique du Sud et le Maroc sont en passe d’en faire autant.   

 

Les Amériques : 

Dans les Amériques, où les pratiques fondées sur la solidarité sont antérieures à la création de l’État moderne, l’histoire de l’économie sociale et solidaire est riche et variée. Les peuples autochtones mettent leur connaissance de l’organisation économique populaire fondée sur des principes de réciprocité communautaire au service de la collectivité. 

 

La spécificité de l’Amérique du Nord repose dans les différentes formes de coopérations différentes selon les régions. Dans les Caraïbes anglophones, les coopératives de crédits sont par exemple très présentes. Dans les marchés commun du Sud (MERCOSUR), ce sont les associations de travailleurs qui sont les plus répandues. Enfin en Amérique centrale, les associations de commerce équitable, de coopératives agricoles y occupent une place importante.  

 

Dans les Amériques, 5 pays (Colombie, Équateur, Honduras, Mexique et Uruguay) et une province (le Québec) ont déjà adopté des lois cadres sur l’ESS. Le Brésil et la République Dominicaine sont en cours d’établissement des leurs. Le Costa Rica s’est doté d’une politique publique et d’un plan d’action pour l’ESS pour la période 2021-2025. En Colombie, un comité sur le secteur de l’ESS a été créé en 2020. 

 

Les États Arabes

L’expression «économie sociale et solidaire» et ses variantes sont peu utilisées dans les 

États arabes. Par contre, l’assurance mutuelle est très répandue dans la région. Le « takaful », modèle d’assurance coopérative, joue un rôle essentiel dans la réduction de la pauvreté. Selon ce modèle, les membres cotisent à une caisse commune et les risques sont partagés par l’assuré et l’assureur. Ces coopératives formelles, connues sous le nom de « ta`awuniyat », ont été introduites dans les États arabes au cours du 20ème siècle, principalement par les anciennes administrations coloniales. 

 

Depuis quelques années, les femmes et les jeunes manifestent également un intérêt croissant pour les coopératives et créent des coopératives de consommateurs. Ces coopératives constituent une plateforme permettant d’élargir leurs perspectives économiques et leur participation à la vie publique. Les responsables politiques des États Arabes ont de plus en plus tendance à se tourner vers l’entrepreneuriat social pour lutter contre le chômage des jeunes et l’exclusion sociale. Elles manquent cependant souvent de cadre légal les rendant difficiles à identifier, d’autant plus qu’elles peuvent prendre des formes juridiques différentes.  

 

Ces dernières années, un certain nombre de pays ont pris des mesures de politique générale ou législatives concernant l’ESS dans les pays arabes. C’est le cas sur le territoire palestinien ou en Jordanie. Des initiatives équivalentes sont menées en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis ainsi qu’au Liban. En Jordanie, 1 592 coopératives étaient enregistrées en 2018 représentant un total de 142 000 membres. Avec 3 000 points de vente, les 70 coopératives de consommateurs koweïtiennes contrôlent 65 pour cent du marché de l’alimentation et des boissons du pays.

 

Asie et Pacifique 

L’économie sociale et solidaire dans la région de l’Asie et du Pacifique trouve sa source dans les principes de solidarité, de réciprocité et de mutualité qui sont profondément enracinés dans les différentes cultures et traditions de la région. On peut penser par exemple au terme de « hui » (réciprocité) en Chine, de « sarvodaya » (élévation de tous) en Inde ou encore de « moyai » (travail collectif) au Japon. Si l’expression d’économie sociale et solidaire est encore nouvelle dans la région, les principes qui la régissent et la dimension sociale de cette économie sont présents dans de nombreux pays d’Asie. 

 

La crise financière asiatique de 1997 et la crise financière mondiale de 2007-2008 a ravivé l’esprit de réciprocité et a accéléré l’évolution de l’ESS. Dans la région de l’Asie et du Pacifique, l’économie sociale et solidaire englobe les coopératives, les associations, les groupes d’entraide communautaires et les organisations d’aide mutuelle. Elle comprend aussi les entreprises sociales. Muhammad Yunus, entrepreneur bangladais, et surnommé le “banquier des pauvres” fonde en 1976 la première institution de microcrédit du pays afin de porter des petits projets de long terme à la suite d’une période de famine. Sur ses propres économies d’abord avant de devenir un véritable établissement bancaire “la Grameen Bank”.

 

A l’heure actuelle, la région compte près de 500 millions de membres de coopératives représentant 46 % des membres de coopératives à l'échelle planétaire. Les entreprises sociales ont pris de l’ampleur au cours des 20 dernières années. L’inde compte près de 2 millions d’entreprises sociales, l’Indonésie 342.000, et le Japon 205.000. Plusieurs pays se sont dotés de lois et de politiques pour développer les entreprises sociales, comme la République de Corée en 2007 ou la Malaisie en 2015. Le gouvernement thaïlandais à créé un office des entreprises sociales en 2010. Les Philippines mènent actuellement des réflexions pour introduire des politiques nationales et promouvoir les entreprises sociales. 

 

En conclusion

L’histoire de l’ESS est donc une histoire ancienne. Présente sur toute la surface du globe, elle se décline sous des aspects différents en fonction des traditions avec cependant une trame commune : le besoin de se réunir pour être plus fort et pour peser (coopératives de consommateurs qui s’allient pour payer moins cher leurs achats, coopératives de producteurs pour réduire les coûts de production). Mais l’ESS est encore assez nouvelle dans sa traduction institutionnelle et politique. Beaucoup de pays à travers le monde se sont fraîchement dotés de politique ou de cadre législatif à destination de l’économie sociale ou sont en cours de réflexion. Le collectivisme en tant qu’idée philosophique est en tout cas une tendance profonde et ancestrale qui semble retrouver une seconde jeunesse au vu des nécessités écologiques, énergétiques ou encore pandémiques. Par ailleurs, le collectivisme est ressenti par la jeunesse comme un moyen de réappropriation de ses outils de production autant qu’un moyen de liberté d’action. Les jeunes sont de plus en plus réceptifs à entreprendre différemment. L’ESS a de belles années devant elle et le meilleur est sans doute à venir.    

 

 

Giovanella Frédéric pour ALpesolidaires

 

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