Rivière Isère serpente entre les montagnes

Au sein du Parlement de la rivière Isère, les Gardiennes et Gardiens de la rivière sont les porte-voix et les protecteurs du cours d'eau qui traverse 4 départements et dont ils souhaitent à terme la reconnaissance comme sujet de droits.

 

Gardiens de la rivière : on pourrait les imaginer tout droit sortis d’un roman de Tolkien, peuplant les berges d’un cours d’eau aux propriétés magiques. On songe aussi, sous d’autres sphères, à un peuple amérindien en osmose avec la nature qui l’environne et particulièrement les éléments aquatiques. 

Pourtant, les Gardiens de la rivière dont il est question ici pourraient être nos voisins, à l’instar de Philippe Dubois ou encore Pierre-Louis Serero, qui, avec d’autres, veillent pour nous sur les eaux de l’Isère. Respectivement présidents de France Nature Environnement Isère (FNE Isère) et de Civipole, ils sont à l’origine du « Parlement de la rivière Isère », une assemblée informelle à laquelle participent d’autres associations et organisations telles que le Pacte du pouvoir de vivre, l’Assemblée des communs, le Jardin des initiatives, mais aussi des citoyennes et des citoyens. Tous souhaitent participer activement à la gouvernance et la préservation de l’eau en Isère, et tout particulièrement de la rivière qui a donné son nom au département.

Longue de 128 kilomètres, l’Isère traverse quatre départements, et donc de multiples bassins de population qui, malgré des intérêts et besoins parfois différents, ont en commun le souci de préservation de cette ressource vitale, y compris ses affluents et des nappes phréatiques environnantes. Des projections récentes prévoient en effet que le débit de l’Isère aura diminué de moitié à l’horizon 2050, tandis qu’aujourd’hui la question de l’accaparement de l’eau se pose très concrètement avec les aspirations de certaines entreprises chimiques ou de microélectronique à prélever plus d’eau potable encore dans le cadre de leur activité économique. Ces mêmes entreprises continuent d’ailleurs à rejeter leurs eaux usées et polluantes dans l’Isère et l’un de ses affluents, le Drac. La nappe phréatique de Grenoble, comme de nombreuses autres en France, est quant à elle contaminée par les PFAS (communément désignés sous le terme de « polluants éternels »).

C’est sur la base de la Charte de l’environnement - qui donne à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé mais aussi le droit d’œuvrer à sa préservation – que le concept de Gardien de la rivière est né. Proches en un sens des « Sentinelles eau » de la FNE Isère, qui ont pour mission de signaler les dépôts de déchets au bord des cours d’eau, les Gardiens de la rivière Isère pourront alerter les pouvoirs publics et les services concernés, comme la DREAL (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) ou l’ARS (Agence Régionale de Santé) s’ils repèrent des activités potentiellement nuisibles à l’intégrité des eaux, voire même si nécessaire porter les faits devant la justice en saisissant le parquet.

Les Gardiens de la rivière sont aussi membres à part entière du Parlement de l’Isère. Bien que ce dernier prenne plutôt la forme d’un collectif informel d’associations et de citoyens, le choix du terme « Parlement » n’a rien d’anodin : l’objectif poursuivi est la réappropriation démocratique des enjeux de l’eau mais aussi une reconnaissance des droits de la rivière Isère, à l’image d’initiatives similaires en France et dans le monde. Elles s’inscrivent dans un mouvement international visant à doter les entités naturelles d’une personnalité juridique, ce qui permettrait ensuite de les protéger plus efficacement, au regard du droit notamment. Actuellement dans le monde, une soixantaine d’entités naturelles ont déjà acquis une personnalité juridique. Parallèlement, de nombreux collectifs luttent pour cette reconnaissance de droits, comme le Parlement de Loire, l’Appel du Rhône ou, en dehors de nos frontières, ceux qui défendent la lagune Mar Menor en Espagne ou le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande.

La première session du Parlement de la rivière Isère, en septembre 2024, a ainsi reconnu dans une déclaration commune la personnalité juridique de la rivière, « désormais considérée comme sujet de droit ». Les Gardiens membres de cette assemblée peuvent dès lors débattre des analyses et enjeux liés aux ressources aquatiques du territoire isérois et orienter les actions qu’il convient de mener pour sa préservation. Il est prévu que les résultats de ces débats et échanges soient transmis ensuite aux acteurs institutionnels de l’eau. 

À plus long terme, les fondateurs du Parlement de la rivière souhaitent davantage de démocratie directe et participative, avec par exemple la possibilité, pour une assemblée populaire, de faire usage d’un droit de veto temporaire contre tel ou tel projet, ou encore l’institution de conventions citoyennes qui puissent initier des référendums.

Multidimensionnel, le Parlement s’organise autour de quatre commissions :

  • Une commission démocratique, qui travaille sur l’organisation du Parlement, son fonctionnement, ses règles, son inclusivité…

 

  • Une commission juridique, dont les membres ont engagé une réflexion sur les droits de la nature et sont à l’origine de la Déclaration des droits de la rivière Isère, présentée lors de la seconde session du Parlement en mars 2025.

 

  • Une commission scientifique, qui entend constituer un observatoire de l’eau, neutre et indépendant, pour collecter et rassembler les données disponibles sur l’eau, qui sont actuellement éparpillées entre plusieurs acteurs : le département, l’agence de l’eau, les travaux de recherche scientifique… 

 

  • Une commission culturelle et artistique, afin de développer l’attachement à la rivière et à l’eau, en jouant sur les imaginaires et les affects. Concrètement, les expressions culturelles et artistiques doivent permettre de créer de nouveaux imaginaires autour du « fluvio-sensible », qu’elles prennent la forme de peintures, de récits, de podcasts, de balades thématiques ou encore de spectacles. Pour éviter, par exemple, que des personnes n’aient l’idée de jeter dans l’Isère une trottinette ou tout autre objet improbable, comme en ramassent régulièrement les services municipaux lors des crues.

 

Vous pouvez vous aussi grossir les rangs des Gardiens de la rivière Isère, et contribuer ainsi à faire entendre la voix de la rivière. Vous serez peut-être la goutte d’eau décisive et nécessaire au tournant civilisationnel que les membres du Parlement appellent de leurs vœux :

« Il est temps de faire évoluer le droit pour qu’il nous aide à sortit de l’Anthropocène – cette époque où l’humain a pris le dessus sur le vivant – et à entrer dans le « Symbioscène », une nouvelle manière d’habiter le monde, pensée par le philosophe Glenn Albrecht, où les humains cohabitent en harmonie avec les autres formes de vie ».

 

Aurélien Mathé pour Alpes Solidaires

Crédit photo : Floflo

 

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