Renouveler l'aide alimentaire d'urgence
Les études le montrent : la pauvreté a un lien direct avec la précarité alimentaire. En 2009 l’obésité, reconnue comme une maladie, touchait plus de 22 % des personnes pauvres contre 6 % des personnes les plus aisées(1). Or depuis l'après-guerre, devant la nécessité de nourrir un pan de la population touché par la pauvreté, l'aide alimentaire d'urgence mettait plutôt l'accent sur la quantité que sur la qualité. Jusqu'au début des années 2000 qui voient l'avènement des premières épiceries sociales et solidaires.
Ces épiceries d'un genre nouveau sont des émanations de partenariats entre des associations de lutte contre la précarité et des services sociaux. Ainsi Épisol à Grenoble est-elle née de la volonté de 4 structures : le CCAS de Grenoble, le Diaconat Protestant, Le Secours Catholique et La Remise. Ces magasins solidaires proposent des produits entre 10 et 50 % du prix moyen du marché à des bénéficiaires des minimas sociaux. Ils donnent ainsi accès à une alimentation quotidienne variée et choisie et mettent en place des actions de sensibilisation autour de l'équilibre alimentaire, de la santé ou de la citoyenneté.
Éduquer à une alimentation saine
En 2004, 6 de ces épiceries lancent le GESRA, Groupement des épiceries sociales et solidaires en Auvergne Rhône-Alpes. C'est une association loi 1901 qui regroupe et représente aujourd'hui 42 épiceries de la Région. Le but de cette association est de représenter ces épiceries auprès des pouvoirs publics et d'enrichir l'offre du réseau sur tous les plans : formation, animation et approvisionnement. En 2015, le GESRA signe un partenariat avec le fonds de dotation de l'entreprise Biocoop autour du projet « Biovrac pour tous », afin de favoriser l'accès à une alimentation de qualité pour tous. Ce projet a financé l'installation de meubles distributeurs de vente en vrac de légumineuses et céréales dans les épiceries volontaires, ainsi que différents outils d'animation autour de l'équilibre alimentaire. Mais comment parler des protéines végétales à un public qui se rabat souvent sur l'offre bon marché de l'industrie agro-alimentaire et ses produits transformés ?
L'ouvrage Bio'Vrac, recettes pour bien manger(2) est issu de cette réflexion. Un collectif de bénévoles, dont deux nutritionnistes, s'est régulièrement réuni pour écrire à plusieurs mains un livre de recettes et de conseils pour bien manger sans se ruiner, et en même temps rendre accessible la compréhension scientifique d'un équilibre alimentaire sain. La première partie du livre est donc consacrée aux besoins nutritionnels et aux bienfaits des aliments selon leur catégorie. Elle est suivie de 112 recettes sucrées et salées, simples et peu coûteuses. Le choix de mettre l'accent sur une alimentation végétale n'est cependant pas une volonté de convertir les populations pauvres au végétarisme. Il part bien plutôt du constat que « les publics en difficulté économique ont un accès limité aux produits carnés de qualité ». Or un régime avec un apport minimal en protéines animales peut être source de carences s'il est mal compensé.
« Il faudra faire de l'alimentation une question de civilisation »
Olivier de Schutter signe la préface de cet ouvrage. Cet expert en alimentation(3) insiste sur la nécessité de repenser notre « culture alimentaire que cinquante années de productivisme ont façonnée ». Il s'agit de revoir l'offre proposée notamment au sein de l'aide alimentaire, pour que le lien entre pauvreté, malbouffe et risques pour la santé ne soient plus une fatalité.
Il fait un constat intéressant : le « bio » a la réputation d'être cher, mais ne s'agit-il pas d'une « double erreur comptable » comme il l'affirme ? D'un côté le bio n'est pas récompensé des bienfaits qu'il apporte, de l'autre l’industrie agro-alimentaire « n'a pas jusqu'à présent été forcée d'internaliser les coûts considérables qu'elle impose à la collectivité – en dommage environnementaux, en soins de santé liés à une mauvaise alimentation, ou en dépeuplement des campagnes ».
Si le constat est sévère, il est nécessaire : l'alimentation est notre premier médicament et la malbouffe est coûteuse sur tous les plans pour notre société. L'accès à une nourriture saine ne devrait-elle pas être un droit ?
(1) chiffres issus de l'étude ObÉpi (Enquête Épidémiologique nationale sur le surpoids et l'obésité) du docteur Marie-Aline Charles et du professeur Arnaud Basdevant, qui ont mené plusieurs enquêtes entre 1997 et 2012 sur le surpoids et l’obésité en France.
(2)Bio'Vrac, recettes pour bien manger, ouvrage collaboratif réalisé sous l’égide du GESRA (éditions GESRA, Paris, 2017), disponible également dans les magasins Biocoop et les épiceries solidaires
(3)Olivier de Schutter, Rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation (2008-2014), co-président du Panel international d'experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food)