Cycle « Mutuelles et ESS » : #3

Alors que dans une société de capitaux le pouvoir vient directement des détenteurs majoritaires du capital, dans une mutuelle le pouvoir vient du principe « une personne = une voix », c'est la véritable clef de voûte de la gouvernance mutualiste.

L’assemblée générale demeure le principal temps fort de la démocratie en mutualité au cours de laquelle les adhérents fixent les orientations générales de l’activité de la mutuelle, élisent les dirigeants chargés de les mettre en œuvre et sont informés de la manière dont ces derniers se sont acquittés de leurs mandats.

L’administration de la mutuelle est confiée à une instance élue par les adhérent.e.s, le Conseil d’administration. Chaque mutualiste a ainsi la possibilité, s’il le souhaite, de participer directement à la gestion de sa mutuelle en se présentant aux élections.

L’administrateur.trice mutualiste est élu.e parmi les adhérent.e.s et s’implique dans la structure au service de l’intérêt de tous les membres. Le collectif est soumis à donner son avis, et prononcer les décisions sur toutes les orientations et projets de la mutuelle (notamment l’appétence aux risques). Un.e directeur.trice général.e dirige les opérations de la mutuelle.

Image : Entrenous Mutuelle  

Les fonctions d'administrateur.trice d'une mutuelle sont exercées bénévolement.

De même, les membres des assemblées générales et les élus des conseils d'administration le font à titre bénévole, donc dans une démarche plutôt militante.

Cependant, dans « La Gouvernance mutualiste »1, Albert Lautman et Camille Brouard soulignent le fait que, le monde mutualiste peine à prendre à son compte l'évolution du militantisme :

  • 76 % des postes d'administrateur demeurent occupés par des hommes. Or, la loi égalité femme-homme impose une représentation d’au moins 40 % de femmes au sein des Conseils d’administration de mutuelles.

  • Plus de la moitié des administrateurs sont âgés de plus de 60 ans.

  • Plus de 60 % des administrateurs exercent plusieurs mandats.

Ces chiffres sont la traduction de plusieurs phénomènes. D’abord la difficulté d'attirer des jeunes, en raison de la complexification de l'exercice des responsabilités mutualistes et d'une attention accrue de la part d’organismes prudentiels (voir article précédent). Ensuite, l'évolution de la manière de concevoir les militantisme : « Le militantisme actuel s’organise très souvent autour de « coups » et moins d’actions dans le temps long. Alors que l’activité militante au sein d’une mutuelle est rythmée par des commissions souvent très techniques, d’autres organisations militantes n’ont, elles, pas de difficulté à recruter plusieurs dizaines de milliers de militants sur des actions ponctuelles en utilisant à plein les réseaux sociaux. »

[ndlr : 6 femmes sont représentées au Conseil d’Administration de la mutuelle Entrenous. La moyenne d’âge est 67 ans].

C'est un problème qu'ont soulevé les dirigeants de la Mutuelle Entrenous lors de notre entretien. En effet, Michel Duret précise qu'il est beaucoup plus difficile aujourd'hui de recruter de nouveaux.lles administrateur.trice.s, et notamment des jeunes, en raison des problématiques évoquées plus haut. Pour inverser la tendance, la mutuelle multiplie les échanges tels qu'un magazine diffusé à l’ensemble de ses adhérent.e.s dans les assemblées locales, afin d'entretenir au maximum le liens avec ses adhérent.e.s et de susciter l'envie chez eux.elles de s'impliquer dans la démocratie  de la mutuelle mais aussi pour apporter une mixité de savoirs, de savoir-faire et bien sûr la dimension Humaine, incontournable.

Face à la complexification croissante de l'administration des mutuelles, Entrenous met en place des sessions de formation à destination de ses élu.e.s, que ce soit des formations généralistes tels que les statuts, la comptabilité mais aussi l’actuaire, la gestion des risques ou plus spécifiques encore, les obligations liées à la responsabilité de la gouvernance, comme les réformes, les obligations de solvabilité ou sur des aspects très précis de comptabilité.

Malgré les difficultés de recrutement d'administrateur.trice.s et les besoins en hausse de formation des élu.e.s, le modèle de gouvernance démocratique des mutuelles se montre assez robuste et résilient.

En effet, toujours dans « La gouvernance mutualiste »(1) Albert Lautman et Camille Brouard précisent que « la gouvernance mutualiste est bien l’architecture qui permet à la mutuelle de faire face aux crises. Moins flamboyant peut-être en période de boom économique que son concurrent lucratif, l’entreprise mutualiste se projette dans le temps long et sait se montrer résiliente. » Pas de cours d'action à surveiller, pas de publication de résultat trimestriel, pas d'actionnaires à rémunérer : le maître mot de la mutualité est le temps long, qui donne la possibilité de travailler dans la sérénité pour construire de meilleures offres pour les adhérent.e.s. L’absence de lucrativité permet également de fixer des objectifs de profits raisonnables et réalistes.

Le modèle mutualiste s'inscrit donc bien dans le champ de l'économie sociale et solidaire et s'avère suffisamment vertueux pour être source d'innovation économique.

 

(1) : Lautman Albert, Brouard Camille, « La gouvernance mutualiste », Regards, 2017/2 (N° 52), p. 163-174.

 
 
Romain Chica pour Alpes Solidaires 

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