Et si on libérait les entreprises de l'ESS ?

 

Depuis 10 ans, sous l'effet notamment de la crise de 2008, le monde de l'entreprise bouge, se cherche. On observe d'une part des tentatives d'ajout d'une dimension sociale à l'économie, avec l'émergence du social business ou des entreprises à mission, et d'autre part d'une volonté de répondre au besoin d'épanouissement des individus au travail, avec par exemple le développement des entreprises libérées dont nous allons parler dans cet article.

 

L'entreprise libérée n'est ni un mode d'organisation, ni un process de management. C'est une philosophie avec comme principe directeur la puissance de l'intelligence collective mise au service d'une mission et de valeurs partagées. Pouvant s'appliquer aux entreprises capitalistiques comme au monde de l'Économie Sociale et Solidaire, elle n'est pas, à elle seule, synonyme d'économie vertueuse, durable et soutenable. Pour certaines entreprises capitalistiques, elle n'est parfois qu'une nouvelle façon de répondre à l'attente des actionnaires dans un unique but de maximisation des profits.  

L'entreprise libérée : une nouvelle philosophie du travail

Selon les entreprises libérées, l'entreprise doit être avant tout au service de l'épanouissement des individus. Au lieu de leur imposer des directives suivies de contrôles, elle laisse les salariés prendre des initiatives individuelles. Le postulat de base repose sur un climat de confiance et de reconnaissance : les collaborateurs peuvent exprimer pleinement leurs compétences si et seulement si une liberté totale leur est accordée. 

Le système hiérarchique classique est alors remplacé par une structure plate où les collaborateurs s'auto-dirigent.  Cette démocratie ne signifie pas pour autant l'anarchie. Définies collectivement pour encadrer le fonctionnement de la structure, des règles garantissent l'espace de liberté de chacun.

L'autonomie est placée au coeur du système. Les décisions ne sont plus prises par une hiérarchie déterminée par les dirigeants mais par ceux qu'elles impactent, ceux qui « font ».

Parmi les principes phares des entreprises libérées, on peut citer :

. la confiance et donc la suppression des contrôles

. la liberté et l'autonomie

. l'épanouissement individuel

. l'encouragement de l'initiative et de la créativité

. le principe du volontariat

. la logique d'auto-contrôle

. la reconnaissance du droit à l'erreur

. la suppression des signes de pouvoir

Libre à chaque entreprise de définir son propre mode d'organisation et ses outils. L'holacratie est un des modèles permettant d'incarner les principes de l'entreprise libérée.

 

L'holacratie, la phase ultime de l'entreprise libérée

La phase ultime de l'entreprise libérée est l'holacratie, un système de gouvernance qui structure les nouvelles modalités de prise de décision et de mise en action au sein d'une organisation. Nous avions déjà évoqué l'holacratie au cours du mois de l'ESS dans un article dédié à cette forme de gouvernance. Dans l'holacratie, non seulement la hiérarchie pyramidale est éliminée, mais le principe de services (dans le sens de département) l'est également. Il n'est plus question de fiches de postes, mais de rôles assurés en toute autonomie au sein de cercles partageant le même but. L'intelligence collective prend ici une place centrale.

L’holacratie permet de donner du pouvoir à ceux qui "font". Ceci nécessite de se départir de son pouvoir et de faire confiance à tous les collaborateurs en partant du principe que chacun sait ce qu’il a à faire. Il s'agit d'un nouveau cadre construit ensemble, pour libérer et non pour contraindre, avec comme pré-requis la nécessité d'un sens commun fort.

Fini les jeux de pouvoir des managers. L'holacratie permet une organisation souple et agile, tout en étant très structurée. Personne n'a de pouvoir sur personne mais chacun a une même part de pouvoir et de responsabilité.

 

La force additionnelle des structures de l'ESS

Libérer sa stucture et choisir l'holacratie comme mode de gouvernance peut s'appliquer à tout type de structures : des entreprises classiques mais aussi des coopératives, mutuelles ou associations.

Une chose est sûre, la philosophie de l'entreprise libérée a de quoi séduire les générations Y et Z, tout comme l'ensemble des personnes en quête de sens et d'épanouissement personnel au travail.

Mais une mise en garde s'impose dans le cas les entreprises classiques car ce concept peut masquer, sous couvert d'une gouvernance horizontale, le fait qu'elles restent des entreprises de capitaux à forme classique. Ceux qui détiennent le capital décident. Ils peuvent à tout moment stopper le processus d'entreprise libérée pour revenir à une vision plus traditionnelle de la prise de décision. La propriété reste aux mains des actionnaires, tout comme la répartition des profits. En réalité, la direction prise par le mouvement de libération d'une structure est remise aux bonnes ou mauvaises intentions des détenteurs du capital.

 

Une organisation parfois très hiérarchique dans l'Économie Sociale et Solidaire

Les structures de l'ESS - coopératives, mutuelles, associations - construites sur le principe que la gouvernance ne doit pas être liée à la détention du capital, fonctionnent selon une démocratie représentative : une personne = une voix. Cela permet d'assurer la pérennité de leur modèle économique. Si une structure fait le choix de la libération (à travers l'adoption d'un modèle holacratique par exemple), il a alors toutes ses chances de durer dans le temps.

Le mouvement de libération peut apporter beaucoup à certaines structures de l'ESS. Si l'humain y est davantage au centre, beaucoup d'entre elles fonctionnent selon une organisation très hiérarchisée, laissant peu de place à l'initiative personnelle et donc à l'épanouissement individuel.

Dans les associations par exemple, le système de démocratie par délégation de pouvoir laisse les prises de décisions aux mains des représentants, élus en AG pour incarner le projet. Ce type d'organisation risque d'être de moins en moins en phase avec les nouvelles générations.

 

Et si on libérait les entreprises de l'ESS ?

En réalité, ni les statuts, ni les bonnes intentions ne font vertu. Ce qui compte avant tout, c'est la façon dont on fait concrètement entreprise.

Et si l'entreprise idéale de demain était dans ces formes d'entreprises ESS libérées ? Une structure assurant à la fois le principe de démocratie représentative, une juste répartition des profits et une lucrativité limitée, mais aussi un fonctionnement horizontal, permettant l'épanouissement personnel de chacun, la créativité, l'autonomie et la confiance, au service du collectif.

C'est par exemple le cas de la SCOP Semawe, une entreprise au départ classique, qui a libéré son mode de gouvernance, adopté l'holacratie, puis décidé de passer en SCOP. Aujourd'hui, elle accompagne les structures qui souhaitent avancer dans cette direction et mettre en place de nouvelles pratiques.

 

Nadège Bredoux pour Alpes Solidaires

 

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