Cent cinquante personnes sont venues assister au Forum des métiers et emplois de l'économie sociale et solidaire organisé le 15 novembre dernier au stade des Alpes à Grenoble. De quoi réjouir les organisateurs de cette seconde édition menée en présence de conférenciers de qualité :
Emmanuelle Puissant et Anne Le Roy, enseignantes-chercheuses à l’UGA et co-responsables du Master TOESS, ainsi que Stéphane Veyer, cogérant à la manufacture coopérative La Manucoop. Un trio de spécialistes venu débattre sur la question du comment améliorer la qualité de l’emploi dans l’ESS et remédier à la perte de sens au travail.
« Une tendance qui touche tous les secteurs d’activités et pas seulement les associations, a d’emblée lancé la conférencière Emmanuelle Puissant. Historiquement les associations ont inventé un modèle de prestation visant la participation et l’émancipation des usagers et des usagères, comme les associations médico-sociales et d’aide à domicile. Un secteur qui, aujourd’hui, offre peu de marge de manœuvre et qui est extrêmement contraint par les lois et les financements, a rappelé la conférencière. Du coup la mise en visibilité d’un service, ce n’est pas la juxtaposition d’actes prédéfinis, ou le saucissonnage des usagers, mais peut-être de permettre aux associations de renouer avec cette tradition d’émancipation en y ajoutant la qualité du travail. Certaines expérimentations montrent que la parole des acteurs associatifs peut favoriser la mise en place d’un espace privilégié de réarticulation et de réconciliation entre qualité de service et qualité de travail. Comme la reconnaissance de l’intégralité des temps de travail et la place des écoles de formation, qui en leur temps, furent créées au sein des associations. Car on ne pénètre pas chez une personne fragile ou en perte d’autonomie sans qualification sociale et médico-sociale », a assuré la conférencière Emmanuelle Puissant.
Se saisir des outils numériques
De son côté Anne Le Roy a laissé entendre qu’un autre chantier serait à saisir, celui de la place des outils numériques qui permettent la saisie d’actes au détriment de la relation entre le salarié et l’usager. « Il ne faut pas rester passif et dire que nous, acteurs de terrain, salariés et usagers, pouvons indiquer au prestataire ce que l'on vit au quotidien. Car l’usage de cet outil nous questionne : Est-il dédié à retracer l’activité ou pour contrôler le travail du salarié ? », a sous-entendu la conférencière, tandis que Stéphane Veyer a évoqué de nouvelles pistes de réflexion.
Remanier et réinventer nos organisations
« L'ESS ne se définit pas par le rapport au travail, mais dans les statuts, le pouvoir, le rapport à la propriété de l’entreprise, ou via des approches spécifiques. Il s’agit d’un type d’économie qui se situe entre le public et le privé. Mais la vraie question est de savoir si l’on peut défendre une cause en maltraitant les salariés du secteur médico-social [aspect pathogène du travail à domicile, différence de salaire, non-reconnaissance du travail], a affirmé le conférencier. Un projet d’économie sociale et solidaire est une œuvre pour coopérer ensemble. Et cela demande énormément de temps pour discuter, imaginer, rechercher et se former. On ne peut pas faire entrer le droit du travail nécessaire pour développer une association, une coopérative ou une mutuelle. Si vous respectez entièrement ce droit, vous aurez un projet plan-plan et au contraire avec un projet dynamique de transformation vous êtes absolument sûr de vous mettre en dehors des clous en matière de respect du droit du travail et du travailleur. Mais on est bien obligé de faire cohabiter ces deux institutions, a affirmé Stéphane Veyer avant de proposer quelques pistes de réflexion. La première serait d’intégrer dans tous les projets d’associations, de coopératives ou de mutuelles une exigence au rapport du travail. C’est aussi reconnaître que nos salariés ont un métier, un savoir faire et qu’à ce titre ils ont pleinement leur part dans la gouvernance de la structure. La deuxième piste serait de faire notre bilan de compétence de façon à ce que chacun soit bien plus armé sur les principes et les pratiques de l’économie sociale et solidaire et créer notre propre droit au travail. Il faudrait aussi inventer notre propre théorie de managérat et que l’on assume la dimension éducative de nos organisations pour que les gens grandissent, se forment et se dotent de leur propre outil d’émancipation, y compris les travailleurs et travailleuses », a conclu Stéphane Veyer.
Le public captivé a salué les orateurs et rebondi sur le dialogue entre employeurs et salariés et sur le lien de subordination ressenti par certains employés. « Il faut libérer du temps pour parler avec les salariés et instituer une représentation du personnel, y compris dans une petite structure », a proposé Stéphane Veyer. « Mais dans les grosses structures, on va plutôt vers la suppression de ces temps de discussion jugés improductifs », a rappelé Emmanuelle Puissant. Quant à Anne Le Roy, cette dernière a alerté l'auditoire. « Un service n’est pas une succession d’actes, mais une mise en relation entre un usager et un prestataire pour répondre à un besoin. Du coup cette vision très industrielle vient percuter ce service et l’on devient complice d’une production que l’on ne peut pas rendre. »
Au terme de cet échange enrichissant, tous les participants ont investi des ateliers thématiques sur la place des salariés, l’amélioration des conditions de travail ou encore le renouvellement des CA des associations. Histoire de partager leur expérience et tenter de trouver des réponses appropriées.
Une journée qualitative et des participants de tous horizons
« Il y a une véritable diversité de personnes (administrateurs, employeurs, salariés, bénévoles, etc.) et c’est de cette participation que naissent des intérêts, parfois des confrontations mais aussi des points de vues et des questions de légitimité qui sont exprimées », souligne Philippe Urvoa de Dédale. Puis lors du Forum réunissant une quarantaine d’entreprises de l’ESS et de nombreux visiteurs (jeunes, demandeurs d’emploi, étudiants en recherche de stages et curieux de tous horizons), Maëlle Saulce, coordinatrice d’Alpes Solidaires, a conclu avec satisfaction, « cette journée est extrêmement intéressante et qualitative, avec une table ronde riche de débats, suivie d’ateliers aux thèmes choisis avec soin dans l’idée de laisser la libre parole opérer.»
Propos recueillis par Patricia Yvars pour Alpes Solidaires